Films made in Luxembourg

Une amnésie qu’on peut vite oublier

d'Lëtzebuerger Land du 09.06.2023

Schatzritter, D’Geheimnis vum Melusina, son premier long-métrage, sorti en 2012, était en luxembourgeois, Barrage, son deuxième long, en salle en 2017, était en français ; pour son troisième « feature film », Maret, Laura Schroeder, a opté pour un film moitié en allemand et moitié en anglais.

Si les langues changent, la réalisatrice continue à se travailler sur relations humaines. L’amitié adolescente était au centre de Schatzritter, les relations familiales dominaient Barrage, tandis que Maret se penche sur les relations entre adultes à travers ce personnage sur la quarantaine qui, sans qu’elle sache trop pourquoi, perd tous les souvenirs de ses vingt dernières années.

Maret – interprétée par la comédienne allemande Susanne Wolff (German Film Award de la meilleure actrice pour Styx de Wolfgang Fischer) – est une artiste un peu rebelle qui traîne dans les galeries underground d’art contemporain. Faute de succès, son caractère bien trempé ne semble pas vraiment l’aider à percer dans le milieu, elle s’est reconvertie dans le graphisme. Un jour, après une altercation anodine avec une galeriste et alors qu’elle est en train de conduire, sans aucune raison apparente, ni coup, ni accident, ni choc psychologique… elle s’effondre. À son réveil elle sait encore parler, elle connaît son nom, elle se rappelle parfaitement son enfance, de ses parents, de ses camarades d’école… mais n’a plus aucun souvenir de tout ce qui s’est passé tout au long des deux dernières décennies. Les médecins lui diagnostiquent une amnésie dissociative également appelé un état de fugue.

Elle a beau se répéter, comme pour s’en convaincre : « je m’appelle Maret Reuther. J’ai 44 ans. Je suis née à Hambourg. Je suis graphiste publicitaire »… Thomas, son compagnon est désormais un total inconnu pour elle, sa maison, un lieu inexploré, ses affaires autant de nouveautés. Rien, elle ne se souvient de rien ! Thomas lui rappelle ses habitudes, son amie Yvonne lui répète que Thomas est un mec bien, de nombreuses photos ont beau lui prouver tout un tas d’événements passés, mais c’est comme si un mur insurmontable et hermétique s’était bâti dans son cerveau tout autour de vingt années de souvenirs.

Alertée par le médecin traitant de l’amnésique, la docteure April Moore, spécialiste des maladies cérébrales, invite Maret à la rejoindre sur l’île de Lanzarote, pour qu’elle puisse la traiter dans sa clinique ultraspécialisée et à la pointe des toutes nouvelles technologies. Malgré un premier refus, l’Allemande finira par se rendre dans les Canaries pour essayer de percer ce mur qui l’empêche d’accéder à ses souvenirs.

La spécialiste en est persuadée, si elle ne peut pas aider Maret à retrouver sa mémoire – « on surestime les souvenirs. Ils ne sont que fiction, de la pure fantaisie » souligne docteur Moore – elle pourra, au moins, changer sa personnalité afin de la rendre moins agressive et impulsive. Autrement dit elle pourra lui permettre de devenir quelqu’un de nouveau, pour ne pas dire de meilleur. Pour elle, puisque le cerveau de Maret est physiquement intact, la raison de son amnésie est à chercher dans son comportement, car, dit-elle « l’esprit ne se souvient que de ce que l’âme peut supporter ». Entre ces discours ésotériques, l’ambiance aseptisée de la clinique et de la maison du Docteur Moore où loge Maret ses premiers jours sur l’île et l’aspect isolé des lieux, on peut alors penser qu’une certaine tension s’installera et que le film basculera vers le thriller en huis clos. Il n’en sera rien.

Une fois la situation installée, le récit tourne en rond ; les scènes se succèdent sans vraiment faire avancer l’intrigue, sans vraiment donner de profondeur aux personnages et sans jamais créer la moindre émotion chez le spectateur. La réalisatrice, qui cosigne également le scénario et est à la genèse de l’idée originale du film, ajoute des rencontres, des décors, des événements chacun moins marquant que les autres. Et ce n’est pas la scène de la cérémonie du candomblé, sortie un peu de nulle part, qui va changer les choses.

Et si le scénario déçoit au point qu’il ne parvient même pas à créer la moindre empathie envers le personnage principal, on peut en dire tout autant de la technique. Avec son aspect réaliste – la réalisatrice insiste dans le dossier de presse et ses diverses interviews sur l’aspect véridique et scientifique des études du docteur Moore et consorts –, le film est visuellement terne, le cadre inutilement instable, certains panoramiques flous et on a beaucoup de mal à trouver un sens aux quelques choix artistiques osés – on pense à la musique qui s’arrête brusquement à plusieurs reprises ou encore aux scènes de dispute ou de sexe avec un montage expressif ne reprenant pourtant que des images d’une seule et même séquence.

Les réflexions de départ sur l’amnésie, la mémoire, la personnalité de chacun, mais aussi sur la tendance sociale à vouloir cacher ses opinions, ses divergences pour plaire aux autres, sur l’éthique autour de tout ce qui touche à la transformation profonde de l’être humain… auraient pu être intéressantes. Mais elles sont malheureusement diluées, dans Maret, dans une succession de scènes sans véritable intérêt.

Pablo Chimienti
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