Schlechter, Lambert: La robe de nudité

Une autre obscénité, une autre pudeur

d'Lëtzebuerger Land du 04.06.2009

À la toute fin de l’année dernière, Lambert Schlechter a publié, après Petits travaux dans la maison chez Phi, un autre livre, La Robe de nudité, aux éditions des Vanneaux, petit éditeur français de poésie contemporaine. Il s’agit d’un livre, comme le dit l’auteur lui-même, « sur les choses du sexe ».

Et en effet ce que nous savons être un (sinon le) sujet de prédilection de Lambert Schlechter, id est le sexe bien sûr et tout ce qui va avec (à savoir bite, burnes, chatte, cul, foutre, etc.), est donc décrit, poétisé, commenté, analysé, transformé en minuscule fiction, en minuscule dialogue, dans de petits textes, notes, fragments, billets. La Robe de nudité est donc un ensemble de micro-traités, chaque traité tenant sur une seule page (et cela fait penser aux Petits Traités de Quignard, des textes plus ou moins courts qui mêlent eux aussi réflexions, fictions, poésies), dont l’aspect fragmentaire permet plusieurs choses :

La diversité des genres, dont la conséquence est une diversité des tons, ensuite une diversité du vocabulaire. Certains des billets sont des poèmes en prose, par leur lexique recherché, travaillé, parfois précieux, leur cadence, leur forte tension poétique : « Tu sais qu’un jour mes bras ne pourront plus te tenir chaude ; je sais qu’un jour ta peau ne pourra plus me protéger. Ce que nous avons en nous de soleil, nous voulons encore et encore l’échanger, alors que tapie alentour l’horrible froidure ne cesse de guetter. »

D’autres billets se présentent sous forme de petits dialogues entre un homme et une femme qui ne seront jamais présentés, ni nommés, et qui parlent de la fameuse inconciliabilité entre les sexes. Leurs répliques sont vives, surprenantes, piquantes : il s’agit d’histoires de regards croisés, de regards en abîme (l’un voit l’autre voir l’un ou quelque chose de ce genre), de petites culottes enlevées (ou non) à l’arrière d’un taxi, de reproches typiques à la « Vous autres, vous ne pensez qu’à votre queue » et de réponses plus ou moins originales à ces reproches.

D’autres billets encore sont des réflexions sur tout ce qui concerne de près ou de loin le sexe, que ce soit dans l’art (une sculpture au musée Rodin), dans la religion (la cléricale horreur de la souillure) ou dans l’intimité (le jeu de la nudité cachée-montrée, les bienfaits de certains désirs, etc.).

Cette fragmentation de l’écriture, des genres, des tons, que Lambert Schlechter pratique régulièrement, parfois de façon moins rigoureuse que dans La Robe de nudité, permet surtout une chose : de renouveler à chaque page son attaque, de faire repartir l’esprit du lecteur à zéro (ou presque) à chaque nouvelle page, et de multiplier ainsi de brefs éclats de prose intense.

Au beau milieu de tout cela, nous retrouvons évidemment certains ma­niérismes de Lambert Schlechter : les jeux de mots obscènes (« ontologiclement »), les renvois mythologiques (les Suzannes et Bethsabées), et surtout, comme l’auteur le dit lui-même, une certaine « poétique de l’inabouti », un « itinéraire interminablement méandrique et sans cesse différé et dévié d’un aboutissement trop prévu ». Voilà une vieille habitude de Lambert Schlechter : il s’agit de commenter son écriture en train de se faire, d’écrire un texte sur le travail du texte, du mot, sur la relation problématique qui lie ce dernier à la chose qu’il est censé dire (l’éternel combat entre une mimésis et une productivité textuelle, ou au­trement : comment dire la femme sans dire que le mot qui dit la femme), ou encore d’écrire des billets sur ce qu’il aurait dû ou pu ou voulu encore écrire : « […] et pour dire tout cela, il fallait le dire, alors ce sera pour une autre fois, des billets pour ailleurs et plus tard ».

Et à la vue (ou la lecture) de tout ce­la, il serait bien faux de ne pas accorder à l’auteur une certaine virtuosité. Malheureusement cette dernière n’ignore rien de sa puissance, et se plaît à revenir encore et encore sur ses propres traits. 

Lambert Schlechter : La Robe de nudité ; éditions des Vanneaux, Montreuil-sur-Brèche, France ; décembre 2008, 64 pages ; 12 euros ; ISBN 978-2-916071-39-8. 

 

Ian de Toffoli
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