À Paris, la Cinémathèque française propose une rétrospective intégrale consacrée à Dino Risi (1916-2008), connu notamment pour avoir réalisé Le Fanfaron (1962) et Les Monstres (1963), film à sketchs où s’illustre un irrésistible duo de trublions formé par Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi. Retour sur une œuvre riche et protéiforme qui s’étend jusque dans les années 1990, en plein berlusconisme, et qui offre une vue nuancée et plus complète d’un talent trop souvent réduit au seul genre de la commedia all’italiana.
Promis à une carrière de médecin, comme son père, le jeune Milanais s’en détourne au profit du cinéma. Et débute comme assistant sur Le mariage de minuit (1941) de Mario Soldati. La « trilogie optimiste » le fait connaître au grand public au terme des années 1950, où il consigne les illusions de la jeunesse du « boom économique ». Certes, il y a la beauté des acteurs et actrices, dénominateur commun à ces films, titres à l’appui (Pauvres mais beaux, 1956 ; Belles mais pauvres, 1957 ; Pauvres millionnaires, 1959). Mais la quête amoureuse de Romolo (Maurizio Arena) et de Salvatore (Renato Salvatori), les deux dragueurs dont on suit l’évolution jusqu’au mariage, est le plus souvent empêchée par le manque d’argent et de travail…
Ces chroniques légères et allègres, apparentées au « néoréalisme rose », ont aussi eu le mérite de faire connaître le chef-opérateur Tonino Delli Colli, bientôt recruté par Pasolini pour son Accattone (1961). Avant cette trilogie populaire, Risi participe à un film collectif aux côtés d’Alberto Lattuada, Cesare Zavattini, Michelangelo Antonioni, Federico Fellini… Il s’agit de L’Amour à la ville : les Italiens se retournent, sorte de traité de sociologie sur la condition féminine qui trouverait aujourd’hui un écho certain.
Avec les années 1960 débutent de véritables coups de maître, à commencer par La vie est difficile (1961), qui est en fait le titre du roman que rêve d’écrire Silvio (Alberto Sordi) en s’inspirant de sa vie. Cet ancien partisan devenu journaliste et défenseur de la cause ouvrière est confronté à un dilemme terrible : ou il demeure pauvre en restant fidèle à ses convictions communistes, ou il s’enrichit en travaillant pour un magnat de la presse qui se plaît à l’humilier…
Le film est superbe dans sa façon de confronter un couple magnifique aux contradictions du capitalisme : d’un côté l’intégrité et la dignité humaine constamment menacées par la misère, de l’autre une réussite sans gloire qui s’apparente à une forme de prostitution. Toujours est-il que l’on ne peut concilier les deux chez Risi. Et que l’on y décèle l’influence de La Dolce Vita (1960) à travers le portrait d’une bourgeoisie décadente qui se perd dans la vanité du divertissement.
Autre comédie qui n’en est pas une, Le Fanfaron, avec sa fin tragique qui permet de voir Bruno (Gassman) enfin rendu à lui-même, singulièrement unifié. Assez fanfaronné : face à la mort du malheureux Roberto (Jean-Louis Trintignant), la duplicité du jeu s’efface et révèle dans sa nudité la gravité de l’être. Autre film tenu par un Vittorio Gassman au sommet de la canaillerie, Il Gaucho (1964), qui met en abyme l’industrie cinématographique pour en montrer le caractère factice. Dans cette œuvre tournée en Argentine, c’est encore le final qui sert à délivrer les (fausses) apparences et les (faux) sentiments ; car une fois la campagne promotionnelle et ses mondanités achevées, l’équipe du film rentre chez elle et l’on ne perçoit plus qu’une armada de pauvres bougres désargentés. La portée du boom économique doit ainsi être nuancée. La comédie se retourne soudainement en drame. À l’instar de La Marche sur Rome (1962), cette mauvaise farce de l’Histoire emmenée par Gassman et Tognazzi en Chemises noires de pacotille, prêts à tous les travestissements pour assouvir leurs seuls intérêts.
Voici quelques-uns des tableaux d’Histoire que Dino Risi a érigés au cours de ses meilleures années passées derrière la caméra, délivrant une vision douce-amère de l’Italie, ce beau pays, ce grand chaos.