Facebook est en mauvaise posture après les dernières révélations sur le rôle des pubs hyper-ciblées achetées par des organisations russes pour influencer par le biais du réseau social le résultat des élections 2016 aux États-Unis. Google a commencé lui aussi à battre sa coulpe, reconnaissant avoir accepté des campagnes problématiques lors de ces élections, tandis que Twitter est accusé d’avoir laissé s’épanouir des armées de bots hyperactifs sans lever le petit doigt, empoisonnant et manipulant le débat sur sa plateforme.
Pour s’expliquer, Facebook a pris la peine d’acheter des pubs de pleine page dans le New York Times et le Washington Post. L’entreprise y a annoncé neuf actions immédiates censées empêcher toute utilisation abusive de sa plateforme lors des campagnes électorales. Cette initiative en dit long sur la pression politique dont Facebook fait l’objet aujourd’hui aux États-Unis, plongés depuis janvier dans une crise institutionnelle permanente en raison du résultat de ces élections et dans les premières joutes des élections de mid-term de l’automne 2018.
Ce qui a laissé les législateurs américains pantois est à quel point il est simple et bon marché d’acheter des campagnes ciblées (ces pubs auraient coûté 100 000 dollars), combien l’algorithme qui préside à leur diffusion est opaque, empêchant quiconque d’autre que Facebook d’avoir une vue d’ensemble sur leur déploiement, et avec quelle précision les publics déterminants pour l’issue du scrutin ont été identifiés et arrosés de manière sophistiquée. La viralité a joué à plein, démultipliant l’effet. Sans une aide d’experts locaux connaissant les moindres recoins du tissu social américain, les agents russes, notamment ceux de de l’Internet Research Agency, procédant aux achats de pubs n’auraient pas réussi cette « weaponization » hyper-efficace de la plateforme présidée par Mark Zuckerberg. Le fait que dans un souci de réduction des coûts, les annonces puissent être placées en ligne, sans interaction avec un employé de Facebook, pour viser des groupes identifés à l’aide d’algorithmes, n’arrange rien, comme on l’a vu avec les pubs ciblant expressément les « jew-haters » que des groupes antisémites ont pu diffuser tranquillement.
Bien qu’ils soient moins en pointe de mire que Facebook dans cette affaire, Google et les publicités en ligne sur ses différents services ne sont pas en reste. L’entreprise de Mountain View a révélé ces derniers jours les résultats d’une enquête interne sur la même problématique. Là aussi, il est question de quelque 100 000 dollars, une paille par rapport au coût des campagnes télévisées classiques. Pour identifier les donneurs d’ordre, Google a scruté Twitter et a pu ainsi établir des liens entre des bots qui y sévissaient à l’initiative d’une écurie de trolls russes – distincte de celle ayant manipulé Facebook – et ceux qui avaient placé des pubs sur YouTube, Gmail, Google Search et le réseau DoubleClick. Les pubs en question étaient favorables au candidat républicain Donald Trump, au challenger démocrate de Hillary Clinton, Bernie Sanders, et à la candidate écologiste Jill Stein.
Tant Facebook que Google avaient dans un premier temps minimisé le rôle qu’auraient pu jouer ces pubs dans les élections. Mark Zuckerberg avait même cru bon pouvoir affirmer que c’était « a pretty crazy idea » que des fake news aient pu avoir une quelconque influence. Ils reconnaissent en creux aujourd’hui qu’au contraire, ces flux d’infos bidon ou tendancieuses ont bel et bien pu avoir un impact inversement proportionnel à leur coût. Il faut se rendre à l’évidence : les grandes plateformes d’interaction sociale du Net, gérées par des entreprises cotées en bourse, sont devenues des armes à la main de ceux qui veulent subvertir les débats factuels. Ces entreprises ont-elles une chance de rester rentables si elles sont contraintes de remplacer les algorithmes qui règlent leurs flux publicitaires par des humains filtrant le grain de l’ivraie ? Tant aux États-Unis que dans l’Union européenne, il est grand temps de ne plus seulement regarder les GAFA comme des monopolistes, mais aussi comme des plateformes de sabotage potentiel du débat démocratique.