Dans la foulée de sa création en 1998, outre sa mission d’« organiser l’information du monde et de la rendre universellement accessible et utile », Google s’est donné pour devise officieuse « Don’t be evil », qui l’accompagne à ce jour. Lors de la création de sa maison-mère Alphabet, celle-ci a adopté la baseline « Do the right thing ». Ce refus déclaré du mal a sans doute contribué pour beaucoup à ce que par centaines de millions, les internautes lui aient confié leurs données personnelles et lui aient permis de devenir ce groupe employant 57 000 personnes, valant 650 milliards de dollars et dont la marque, considérée comme la plus précieuse de toutes, désigne une recherche en ligne dans pratiquement toutes les langues du monde.
Il faut reconnaître que, si on le compare aux autres grandes multinationales qui mènent la danse de l’économie mondiale, et malgré les critiques dont il a fait l’objet en matière de protection de la sphère privée, d’évasion fiscale, d’abus de position dominante ou encore de censure, Google a plutôt donné droit à sa devise.
Cela ne l’a pas empêché d’être régulièrement épinglé à cause de contradictions flagrantes avec sa généreuse maxime. De ce côté de l’Atlantique, les critiques les plus dures ont concerné les abus de position dominante. Les amendes salées infligées au groupe par l’exécutif européen à ce titre, la plus récente concernant sa non-observation de l’obligation de respecter la neutralité dans les résultats de recherche (Google a été convaincu d’avoir privilégié ses propres sites marchands) l’ont rendu particulièrement chatouilleux. La semaine passée, cette susceptibilité a été illustrée par un épisode dans un thinktank soutenu par Google. Selon le New York Times, lorsqu’un département de la Fondation New America, créée en 1999, financée depuis par Google à hauteur de 21 millions de dollars mais présentée comme indépendante, a publié une étude défendant l’amende de 2,7 milliards de dollars infligée par la Commission à l’encontre de Google en juin, le responsable de ce département, « Open Markets », qui s’est battu contre les effets pernicieux de la concentration des grands groupes de technologie, a été informé par la présidente de New America que le temps était venu pour lui et sa dizaine de collègues de quitter la Fondation en raison du danger qu’ils représentent pour l’ensemble de l’institution. Le chercheur remercié, Barry Lynn, a déclaré au quotidien new-yorkais que « Google distribue son argent de manière très agressive à Washington et Bruxelles, pour ensuite tirer les ficelles ».
Dans le domaine de l’action climatique, Google n’a pas non plus toujours adhéré à son positionnement officiel, loin s’en faut. Depuis 2007, il dit poursuivre la neutralité carbone pour ses opérations. Cela ne l’a pas empêché de verser 50 000 dollars au CEI (Competitive Enterprise Institute), un thinktank libertarien qui présente les émissions de carbone d’origine humaine comme un facteur positif pour l’environnement et considère que le réchauffement de la planète n’est pas un problème. Pour que Google coupe les ponts avec l’ALEC (American Legislative Exchange Council), un lobby qui s’est fait une spécialité de fournir aux États de l’Union des projets de législation rétrogrades, notamment de ceux qui barrent la route aux énergies renouvelables, il aura fallu en 2014 une campagne de groupes environnementaux et de syndicats. Dans la même veine, on apprenait en juillet 2013 que Google avait organisé un « fundraiser » en faveur du sénateur de l’Oklahoma Jim Inhofe, qui vocifère à longueur de législature contre toutes mesures d’action climatique. Inhofe s’est fait remarquer en exhibant au Sénat une boule de neige, censée prouver l’inexistence du réchauffement. Même si Google obtient l’électricité de ses deux data centers dans l’Oklahoma de l’énergie éolienne, il est curieux qu’une entreprise aspirant à la neutralité carbone soutienne celui que le site Climate Progress présente comme « un des pires dénégateurs de la science climatique au monde ».