Rewenig, Guy: Le chef d'orchestre à la baguette de bambou

Le pays qui raffolait d’être tourné en ridicule

d'Lëtzebuerger Land du 03.01.2008

Décidément, Guy Rewenig a la cote ces derniers temps. Après le prix Batty Weber en 2005, le prix Servais en 2006, il a, pour la énième fois, remporté le premier prix du Concours littéraire natio-nal (placé en 2007 sous le thème de « De Bléck vu baussen »), avec un texte en français cette fois-ci : Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou. En effet, il semble y avoir une pénurie de jeunes auteurs dans notre petit pays, car il est quand même assez étonnant (ou plutôt dommage, ou mieux encore : pervers) que l’on attribue un prix littéraire à quelqu’un qui a déjà remporté ce même prix (pas toujours le premier prix, dira-t-on, parfois le deuxième ou le troisième) en 1978, 1979, 19 81, 1982, 1983, 1984, 1986, 1988, 1989, 1991, 1993, 1994, 1995, 1997, et 1999. D’ailleurs il n’est pas le seul dinosaure que l’on couvre systématiquement de la gloire dudit prix : Jhemp Hoscheit ou Georges Hausemer, par exemple, l’ont, eux aussi, déjà reçu une petite douzaine de fois. Tout mène à croire que les jeunes (s’ils existent, ce qui n’est pas prouvé) sont découragés de participer à un concours qui semble à chaque fois décidé d’avance. Ou peut-être faut-il se rendre à l’évidence : les jeunes auteurs luxem-bourgeois (admettons qu’ils existent) sont simplement nuls!Quoiqu’il en soit, notre Rewenig national nous livre ici un petit texte assez drôle. Il s’agit d’une lettre fictive écrite par un demandeur d’asile afri-cain, Mwayé, adressée à Monsieur le Président du Luxembourg. Mwayé n’a qu’une envie, c’est de devenir Luxembourgeois. Dans sa lettre au Président, il démontre toute sa bonne volonté dans cette entreprise : il s’immisce dans la culture luxem­-bourgeoise en visitant l’Autofestival, les fêtes du vin, en s’inscrivant à l’école de langues, en participant à toutes sortes d’activités sportives (le marathon par exemple) ou encore (et surtout) en mangeant et en buvant comme un ogre.Bien évidemment, il se heurte au racisme inconditionnel des autoch­tones. Heureusement, Mwayé ne comprend jamais ce qu’on lui dit et se méprend la plupart du temps sur les intentions des gens qu’il rencontre. Lorsqu’il fait par exemple la connaissance du ministre du Logement, il le remercie de loger ses amis africains dans des tentes sur un camping coupé du monde parce qu’ils ont ainsi « le droit de se délecter du contact immédiat et ininterrompu avec la nature ». Mwayé décide même de faire un cadeau au Président luxem­bourgeois en lui offrant une baguette de bambou pour que ce dernier puisse diriger son peuple comme un chef d’orchestre. Il le compare à un roi africain sur son trône devant lequel les journalistes ont visiblement envie de se prosterner. On ne se demande plus à qui Rewenig fait allusion.Car même si le dé­-calage entre les remarques et observations candides de Mwayé et les situations telles qu’elles sont réellement (sans oublier les jeux de mots qui naissent ainsi inévitablement) crée des passages qui vont de l’ironie espiègle jusqu’au burlesque vulgaire, la plupart des « blagues » sociocritiques du Chef d’orchestre à la baguette de bambou (qu’on nous a déjà servies de nom­breuses fois) commencent à s’essouffler : les salaires à la limite de l’indécence, l’amour de l’automobile, la méfiance des gens, l’incompétence des politiciens, la bouffe, la beuverie, etc. Si même les membres des institutions prises pour cible dans ses livres rient des « blagues » de Rewenig (riant ainsi d’eux-mêmes), lui accordant, d’un geste nonchalant de leur main gauche, le prix du Concours littéraire national, tout en se tapant de leur main droite sur leurs ventres bien remplis d’Eierewain et de Schnittercher, peut-être faut-il alors penser que lesdites « blagues » se sont estompées.Voici une théorie : Et si tous ces prix littéraires (et avec ces prix, ces bandeaux qui entourent ses livres dans les librairies sur lesquels on peut lire quelque chose d’aussi révélateur et d’aussi élogieux que « Une superbe rigolade ») que Rewenig reçoit ne servaient qu’à masquer le fait qu’un de nos plus éminents auteurs écrit à peu près toujours la même chose… ? Non, oublions tout ça. Les luxembourgeois adorent être tournés en ridicule dans des livres. Voilà tout.

Guy Rewenig : Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou ; Pockolibri, novembre 2007, 125 pages ; ISBN 978-2-919933-40-2.

 

Ian de Toffoli
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