Le Luxembourg se classe à la septième place dans une récente étude publiée par Jewellerybox sur l’intérêt des populations pour la mode durable. (Les premiers trois du palmarès sont le Royaume-Uni, l’Irlande et la Nouvelle-Zélande.) Ni New York, ni Milan, ni Paris – les capitales de la mode – ne figurent dans ce top 10 ; le Luxembourg les devance. Est-ce une raison de se féliciter ? Cela reste à voir. « Intérêt » ne veut dire ni action, ni résultat. Pour évoquer les effets écologiques à long terme de ces rêves tissés, faisons défiler les acteurs de la scène locale.
Parmi les initiatives de slow fashion, de mode « durable », on compte une demi-douzaine de commerces de seconde main rien que dans la capitale, dont certains sont actifs depuis de très nombreuses années et n’ont pas attendu la tendance vintage qui s’est éprise de vieilles fringues pour les rehausser en icônes de mode. On croise aussi des concept stores qui affichent des labels séduisants « bio » ou « fair trade ». Au-delà du commerce, il y a la collecte des vieux vêtements par les associations caritatives, le recyclage et l’upcycling que ce soit pour la confection des nouvelles pièces, l’exportation vers des pays moins bien dotés ou la réutilisation des matières. Autant d’interventions qui visent à ralentir la fast fashion et nous propulsent sur le podium des consciencieux.
Ce que nos grand-mères considéraient comme du simple bon sens, réparer, réutiliser, reprendre, est devenu tendance. Mais à part la tendance, il y a l’urgence écologique. Et les chiffres de la mode sont loin d’être dans le vert. On compte 7 500 tonnes de déchets textiles par an au Luxembourg, dont seule la moitié est recyclée ou vendue sur le marché de l’occasion à l’étranger. La consommation annuelle est de 26 kilos de textile par habitant, soit l’équivalent de 654 kilogrammes de CO2, un multiple de 25 pour chaque gramme de fibre que nous portons, même celle en couleur vert forêt. En moyenne, un Luxembourgeois jette chaque année 47 pour cent de sa consommation de textile, soit 12,26 kilos. Nos vêtements pèsent lourds sur nos (in)consciences. Si on cultivait des fibres textiles pour nos besoins grand-ducaux, on devrait transformer un tiers des champs de patates en production de coton, et la question se poserait : « Un autre jean ou un Gromperekichelcher ? »
La mode durable serait alors un mythe ? Que se passe-t-il dans les coulisses de l’industrie ? Pour produire des habits, on a besoin de beaucoup d’eau ; vingt pour cent de la consommation globale. À cette consommation s’ajoute la pollution. Plus un maillot de bain est éclatant de couleurs, plus on a fait couler de colorants dans nos rivières. Entre quatre et dix pour cent – les estimations divergent – de la totalité des émissions mondiales de gaz à effet de serre émanent de l’industrie textile chaque année. Ce qui ne nous décourage pas d’acheter des nouvelles tenues pour chaque départ à la mer ou de se doter d’un nouvel habit d’hiver au Mantelsonndeg : À chaque bleu à l’âme, parce que vous le valez bien et que vous pouvez vous le permettre…
Le consommateur de mode a réussi à faire accélérer la machine de production. Pour se délecter de 24 collections par an chez Zara, douze à seize chez H&M. Grâce aux nouvelles technologies, la production a doublé en trente ans et les prix ont été divisés par deux. Sauf qu’il n’est pas chic de dire « cheap fashion », même si c’en est une. On dit dans ce pays : « Wat näischt kascht, wat näischt ass » (« ce qui ne coûte rien, ne vaut rien »). Quelque part l’adage dit vrai : Ce qui ne coûte rien, ce sont les fibres en matières non biodégradables, à base de pétrole. Le polyester règne sur l’empire de la mode, une matière légère aux lourdes conséquences.
Les campagnes pour verdir l’image sont bien faites. Les grandes marques s’engagent pour la planète. Elles installent des bacs pour récolter les vielles fringues directement au magasin, c’est si pratique. Elles proposent même des bons d’achat en échange, c’est si généreux. C’est surtout astucieux : La bonne conscience et une consommation renouvelée, d’un coup, deux pierres. La façade tient. Mais si recycler paraît toujours mieux que jeter, il ne faut pas oublier qu’il est quasiment impossible de recycler les fibres de multiples provenances ; que ce recyclage produit des fibres de moindre qualité dont le coût de revient est élevé ; que, globalement, moins d’un pour cent de vêtements sont recyclés. La plupart des dons de vêtements terminent dans les décharges des pays pauvres. La charité est moins bien ordonnée qu’il n’y paraît.
On innove et on refait, « une deuxième vie pour votre vêtement » est devenu un slogan à la mode. Une récente analyse du cycle de vie d’un jean démontre qu’entre la fabrication à neuf d’un jean et un jean issu de l’upcycling, l’impact sur l’environnement est similaire. L’innovation en matériaux de génération future, des substituts bio aux matériaux naturels, coûte très cher. Tant que la demande de vêtements bon marché aura la cote, peu de bio-fibres feront le bonheur des fashionistas. Et si l’habit fait l’homme, il risque de défaire son habitat, aussi longtemps que le désir d’accumuler à tout prix primera sur celui de préserver sa demeure. En somme, c’est une question de conscience.