CD The desperate life of Johnny Sunshine de Raftside

La guerre du faux

d'Lëtzebuerger Land du 21.07.2005

Raftside serait-il tombé dans son propre piège? Lors d'une soirée du nouveau magazine culturel Salzinsel, en juin à la Kulturfabrik, celui qui se faisait d'habitude homme-orchestre solitaire avec sa loop-machine, jouait avec un «vrai» groupe, un guitariste, un batteur – et le public était mécontent. Lors de la soirée Bloe Baaschtert vs Grand Duchy Grooves quelques semaines plus tard à l'Urban, celui qui se démarque dans la scène musicale nationale par son show mégalomaniaque de fausse star amerloque jouait sans ses mythiques lunettes de soleil blanches – et le public criait: «Mets donc tes lunettes!». Ce rejet fut d'autant plus cruel que durant l'année écoulée, Raftside a mûri, a fignolé ses chansons et sa musique pour sortir avec The desperate life of Johnny Sunshine un premier vrai CD (après quatre CD-R), certes toujours autoproduit, mais néanmoins très abouti. Peu à peu, il pourra donc enlever ses lunettes et son show moitié distanciation ironique, moitié camouflage. Filip Markiewicz est en train de déconstruire un mythe qu'il a lui-même construit à coup de clips et autres produits marketing – annonces délirantes dans le magazine co-édité par sa sœur Karolina, Salzinsel, logo omniprésent, calicots, guitare argentée supersexy, voire même sa propre marque de boisson gazeuse... «Dans l'art, dit-il, j'ai toujours aimé les contradictions.» Et aussi que ce qu'il a monté, il veut le démonter. «I'm not an artist, so I'm free!» chante-t-il sur Judas Island. Mais commençons par le commencement : Filip Markiewicz est un jeune artiste – malgré ce qu'il chante –, et vient de terminer ses études en arts plastiques à Strasbourg. Raftside est son alter ego complètement fake, qu'il construit de toutes pièces – d'ailleurs ce «personnage» qu'il incarne sur scène et les artifices du music-business auxquels il a eu recours pour le construire constituent aussi son travail de fin d'études. «MTV is my unique target,» annonce-t-il dans Another Game. En l'espace d'un an, depuis qu'il a soudain apparu comme par un tour de magie, Raftside est devenu un des musiciens les plus hype de la scène locale : bars, avant-parties de groupes à la Kulturfabrik, Fête de la musique, caves et autres lieux plus ou moins vraisemblables, il a joué quasiment partout. Avec, à chaque fois, en apogée, sa méta-chanson dada International Noodle Conspiracy – «Ich bin ‘ne Nudel / du bist mein Ravioli / zusammen tanzen wir / ein Carbonara». Sur le disque, c'est la chanson la plus surproduite, avec voix off, applaudissements et tout le toutim. Mais ce serait dommage – et absolument faux – de réduire Raftside à de la déconnade. The desperate life of Johnny Sunshine est un disque très dense avec des chansons incroyablement mûres, nourries musicalement de l'histoire des monstres du rock – les hommages à son idole, «Mister Lou» Reed sont assumés – et des textes poétiques («re-dial my life after the tone», Everything's wrong). «Johnny Sunshine est le cliché du mec cool, de l'homme idéal,» explique Filip Markiewicz lors d'une interview à l'Interview. C'est ce personnage idéal qui a donné son titre au disque et à la première des quatorze chansons. Sur la pochette, une petite fille, Nina, la fille d'un ami, regarde en gros plan droit dans l'objectif, avec dans ses yeux des étoiles – comme celle qui départage « Raft- » et « -side » dans son logo – des revolvers dessinés sur les joues. Tous les adultes dans le booklet portent des lunettes de soleil, «seul le regard de la petite fille n'est pas encore faussé, elle est la plus sincère.» C'est l'histoire d'une démystification, «je n'aime pas les disques conceptuels, résume Filip Markiewicz, mais on peut dire que j'ai réuni plein de chansons sur le thème du désespoir.» Les plus grands posers de la musique sont-ils en fait aussi les plus romantiques? Avec Johnny Sunshine..., Raftside chante la solitude, les nuits paumées dans des bars glauques, les larmes versées pour les amitiés perdues, la quête de l'amour, la fin de l'été en Alabama, la globalisation de la guerre. Le disque, produit dans son propre Raftstudio à Hollerich, Californie, avec beaucoup de détails, une foison d'instruments, de guitares, de voix et d'effets qu'il a tous enregistrés lui-même, est comme un «best off» des chansons qu'il chante en live. Mais déjà, Raftside est plus loin – «You tiny little bastard / you think you can live faster!» (A star under a tree) –, trouve le disque surproduit, trop formaté et a envie « de faire quelque chose de plus sale » maintenant. «Ignorance, my unique chance» (Judas Island).

Le disque The desperate life of Johnny Sunshine de Raftside est en vente au prix de dix euros lors de ses concerts ou pour douze euros chez les bons disquaires. Contact : raftside@hotmail.com

 

 

josée hansen
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