Paul Helminger ne briguera pas la présidence de Cargolux à l’issue de son mandat. Retour sur le parcours du dandy des affaires et de la politique

The last months of the elder Statesman

d'Lëtzebuerger Land du 13.11.2020

Demi-milliard

« Mon mandat va très normalement expirer au mois d’avril et je ne demanderai pas son renouvellement », confie au Land cette semaine le président de Cargolux, Paul Helminger. Le fringant octogénaire (depuis le 28 octobre) se retire progressivement de ses engagements dans les conseils d’administration des grandes entreprises. La présidence de la compagnie de fret aérien est le plus prestigieux des mandats qu’occupe encore le diplomate reconverti dans la politique, puis les affaires. Il a abandonné celle de Luxair l’an passé. Depuis quelques semaines et alors que les entreprises de l’aéroport jouent leur avenir avec la crise du Covid-19, Paul Helminger reste en retrait. Il laisse les directeurs généraux gérer avec les syndicats et le gouvernement. Luxair est d’ailleurs devenue au fil des discussions en tripartite le seul malade nécessitant les soins de l’exécutif (voir page 8). Paul Helminger garde néanmoins un avis. La société qu’il préside explose les records de rentabilité cette année. Clouées au sol, les compagnies passagers ont laissé aux pure freighters comme Cargolux une immense partie du transport aérien de marchandises qu’elles assuraient en soute. Les rendements par tonne ont grimpé en flèche, les coûts à bien moindre vitesse. Des sources concordantes soufflent que l’on se dirige vers un bénéfice supérieur à 500 millions de dollars pour cette année… alors que le record en cours s’établit à 200 millions (pour l’exercice 2018). Tout le Findel zyeute le magot avec envie. Chez Luxair, actionnaire à 35 pour cent, on pense que le juteux dividende (soit environ 175 millions si l’intégralité est reversée) arrivera à point après avoir tapé toute l’année dans les réserves de la compagnie. 

Mais Paul Helminger ne l’entend pas de cette oreille. Le président de Cargolux tape dans la main pour reprendre du personnel de Luxair, « parce que c’est la grande famille de l’aviation ». L’ancien patron de Luxair considère néanmoins que la voie de la recapitalisation, écartée cette semaine par le ministre des Transports François Bausch (Déi Gréng), est à privilégier pour la compagnie aérienne. « Ils ont certainement besoin d’être recapitalisés à courte échéance. Tous les gouvernements européens ont injecté des sommes faramineuses dans leurs compagnies aériennes. Je crains que le moment arrivera fatalement où la Commission dira stop. J’espère que nous n’aurons pas raté ce moment », nous explique Paul Helminger. Arrivé à la tête des deux compagnies aériennes en 2012 (pour un départ de Luxair en 2019) et 2013, Paul Helminger voit le besoin d’y investir : « Dans une année extraordinairement profitable, il faut absolument mettre tout ça en réserve pour absolument faire face au gros œuvre qui nous attend sur les quatre-cinq années à venir. » 

Libéral contraint

La décision appartiendra in fine à l’actionnaire principal dans les deux sociétés, l’État, représenté au Findel par le mutique mais puissant Tom Weisgerber. Le contexte et la position du président de Cargolux, qui crispe déjà, cernent le personnage Paul Helminger : un libéral contraint dans un capitalisme d’État. Sa présence durant la dernière décennie à la tête de deux entreprises systémiques pour l’économie luxembourgeoise, et donc éminemment politiques, s’explique par une succession d’allers-retours ou de chevauchements entre fonction publique, affaires et mandats électifs. 

Au sortir de ses études en droit à la Sorbonne, en sciences politiques à Sciences-po Paris et à Stanford (« à la belle époque de la collation des grades pendant que les autres vivaient des jours paisibles à Aix en Provence »), Paul Helminger s’oriente vers la diplomatie, un souhait qu’il cultivait depuis le secondaire. Le natif d’Esch-sur-Alzette en 1940 (de parents instituteurs) commence sa carrière aux Affaires étrangères en 1966. Gaston Thorn le débauche en 1974 alors qu’il représente le Luxembourg à Genève à la deuxième phase de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (qui aboutira à la déclaration d’Helsinki et enfin à la création, au sortir de la guerre en Bosnie, de l’OSCE). « Je venais de déménager la famille. On était bien… le week-end à l’Alpe D’Huez ou ailleurs dans les Alpes suisses pour skier », se souvient-il aujourd’hui. « L’expérience politique inédite dans un gouvernement sans les chrétiens sociaux (…) avec un libéral bon genre bon teint » le convainc néanmoins. Il devient chef de cabinet du Premier ministre Gaston Thorn en 1974. Paul Helminger adopte le libéralisme politique par la force des choses. Il s’encarte pour entrer au gouvernement de 1979 à 1984 et occupe notamment les fonctions de secrétaire d’État au commerce extérieur. Au sein du gouvernement, il a notamment, dit-il, mis en place des accords aériens en Asie du sud-est, avec Singapour ou la Chine. 

Ferrari rouge

Quand le DP repasse dans l’opposition en 1984, Paul Helminger se fait élire à la Chambre dans la circonscription de l’Est. Il prend en même temps la tête de Computerland Europe, la centrale européenne de la firme californienne fondée dans les années 1970. Il s’agissait alors du plus grand distributeur de matériel informatique européen. Paul Helminger passe une semaine par mois en Californie avec « ses patrons américains ». À l’approche de la cinquantaine, Paul Helminger vit ses heures bling-bling, divorce, s’installe à Luxembourg, roule en Ferrari rouge. Il se présente, malgré tout « à la demande du parti », en 1989 à nouveau dans la circonscription de l’Est. « Mais quand tu arrives en Ferrari à la Wäifest de Grevenmacher… », commente un observateur, le résultat aux urnes s’en fait sentir. « J’avais accumulé un certain nombre de points qui passent mal à la Moselle », résume sobrement l’intéressé. Après l’échec électoral et la faillite de Computerland, Paul Helminger crée son cabinet de consulting. L’objectif : trouver des partenaires pour les sociétés luxembourgeoises à l’étranger et réciproquement. « C’était un peu dans la lignée de ce que j’avais fait comme secrétaire d’État, mais sur le plan privé », analyse a posteriori Paul Helminger. 

Au lendemain de l’élection, le consultant étaie ses convictions et écrit : « Hélas, le budget de l’État n’est pas un plan d’entreprise, les comptes annuels ne constituent pas un véritable bilan, les élections ne sont pas des assemblées générales d’actionnaires, la Chambre des députés n’est pas un conseil d’administration et seul le gouvernement se compose comme une direction générale » (Land, 7.12.2020). Puis de paraphraser Michel Crozier. Pour être moderne, l’État devrait tout d’abord devenir modeste « se concevoir soi-même non plus en détenteur de pouvoir, mais en prestataire de services publics au bénéfice des citoyens qui ne sont non pas ses subordonnés mais ses clients. » Durant la décennie 1990 qui le voit revenir à la Chambre et accéder au collège échevinal de la capitale, Paul Helminger détaille ses réflexions libérales. Il est alors un des cadres du parti avec Colette Flesch, Lydie Polfer, Henri Grethen ou encore Charles Goerens. En 1994, dans une autre contribution au Land, il s’affirme « libre-échangiste » et, inspiré par son expérience chez Computerland, théorise le passage des relations commerciales entre États (guidé par leur balance des paiements et maîtres de leur politique monétaire) à des relations mondiales constituées par « la substance même de l’activité économique ». Il évoque le marketing, la production, la recherche et surtout le financement.

En 1996 enfin, il livre un « plaidoyer pour une écolonomie luxembourgeoise » (Land, 4.10.1996). Le dandy devient bobo et prône un modèle où la qualité de vie prime sur la quantité de prospérité. « Ainsi s’amorce le virage qui doit mener d’une politique de croissance maximale et tous azimuts vers la recherche d’un développement durable », écrit-il alors. L’ancien fonctionnaire en profite pour égratigner, déjà, l’exode des Luxembourgeois vers la fonction publique au détriment du secteur privé. « Un pays qui n’en finit pas de célébrer la résistance de ses patriotes alors qu’il en allait de son identité politique, ne peut pas aujourd’hui avoir comme seule ambition d’être une sorte de colonie à rebours où le capital, les compétences et la main d’œuvre sont tous importés et invités à prendre les risques de faire fonctionner une économie qui permet de financer une assurance tous risques réservée aux autochtones. » 

Paul Helminger met en application une partie des théories après son élection en 1999 à la fonction de Bourgmestre de Luxembourg qu’il occupe jusqu’en 2011, quand le Land titre « Der CEO verlässt der Firma » (14.10.2011). « Vraiment la meilleure époque de ma carrière », résume Paul Helminger. L’ancien maire vante le système collégial où l’ensemble des membres doit s’entendre et où le bourgmestre, primus inter pares, stimule la décision. La privatisation du service d’électricité/gaz, la promotion de la ville avec la création du poste de city manager (occupé par Géraldine Knudson), le réseau Hot City ou encore le Biergercentre sont autant de réalisations dont Paul Helminger se dit « fier » aujourd’hui. Il détaille le recours aux consultants (du cabinet Résultance) pour conceptualiser la réception dans un guichet unique de « 650 à 700 clients-jour » avec moins de quinze minutes d’attente entre… « pour rendre un service à la hauteur des impôts payés par le contribuable finalement », résume celui qui revendique au passage d’avoir introduit les verts « dans la grande politique ». L’association à François Bausch, premier échevin en 2005, aidera au décollage de la carrière de l’intéressé, aujourd’hui ministre de tutelle de Paul Helminger. 

Everybody’s darling Mais l’accession du libéral à la tête de Luxair et Cargolux tient d’abord à son camarade de parti Xavier
Bettel qui, en prenant la place de bourgmestre en 2011, l’évince de la place Guillaume et le renvoie dans le secteur privé. Claude Wiseler (CSV), ministre des Transports, intronise l’elder statesman en 2012 et 2013 dans les compagnies aériennes. Paul Helminger s’illustre par sa gestion abrupte des affaires sociales avec une double dénonciation des conventions collectives. Ses relations amicales avec Akbar Al Baker, CEO de Qatar Airways, compagnie qui a acheté 35 pour cent de Cargolux en 2011 avant de les rendre l’année suivante, sont mal vues. Paul Helminger, administrateur de Cargolux en tant que représentant de Luxair, se rend même spontanément à Doha voir « Akbar », dans le sillon de Luc Frieden (CSV) et d’Albert Wildgen (homme de confiance des Qataris au Grand-Duché) qui avaient poussé le deal avec les Émiratis. Il s’agit vraisemblablement du seul (mini) couac attribuable à Paul Helminger. Observateurs et parties prenantes louent son entregent, sa respectabilité et sa vision, « davantage dans le macro que dans le micro », analyse-t-on. Il arrondit les angles dans ces entreprises capitalisées par l’État et aux pièces rapportées. Sous sa présidence, Cargolux retrouve un remplaçant aux Qataris en Chine (HNCA), et des repreneurs pour les parts de Lufthansa dans Luxair entre l’Italie et le Luxembourg avec Delfin, groupe lié au géant de la lunette Luxottica. La soft touch joue aussi dans les relations humaines. Paul Helminger s’entend avec l’omniprésent Tom Weisgerber, conseiller du ministre, soutient le CEO Richard Forson arrivé (CFO) avec les Qataris, et cohabite avec le conservateur Adrien Ney pour, toujours, concilier les intérêts financiers des uns et politiques des autres.

Les qualités du Stater s’arrachent. L’ancien bourgmestre siège dans le groupe bancaire Intesa Sanpaolo Holding aux côtés d’autres huiles du monde économique libéral comme Norbert Becker ou Raymond Schadeck (membre de l’initiative Et ass 5 vir 12 avec Paul Helminger). Il le quitte en avril cette année alors que débarquent Florence Reckinger-Taddeï et Anne Brasseur (DP). Pas d’explication politique à cela, se justifie Paul Helminger. Tout simplement une question de réseau et de bouche à oreille. Paul Helminger siège en outre toujours à la Brasserie du Luxembourg (Bofferding-Battin-Lodyss) dans un conseil galactique aux côtés de l’ancien ministre Jean-Lou Schiltz (CSV) et de l’ancien patron des patrons Michel Wurth. Puis il y a le promoteur belge Immobel où siège également l’ancien président du Fonds d’urbanisation du Kirchberg Fernand Pesch. Paul Helminger (qui réfute d’être insatiable, « tout au plus infatigable ») partage qu’il conservera certains mandats après son départ de Cargolux. De quoi financer l’entretien de la Ferrari… devenue grise.

Pierre Sorlut
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