Sur un parking au Dernier Sol

Les campeurs

d'Lëtzebuerger Land du 07.08.2015

Sept heures du soir à Bonnevoie. Un homme grille des sardines pendant que deux femmes lavent une salade. Le soleil tape déjà tout l’après-midi sur les tentes. Les campeurs viennent de rentrer du travail et se réjouissent de l’odeur du poisson bientôt prêt. Depuis le mois de juin, une vingtaine de personnes (plus d’hommes que de femmes et de différents âges et nationalités), se sont installées sur un parking au Dernier Sol, un no man’s land jouxtant les chemins de fer et la Rocade de Bonnevoie. Les milliers d’automobilistes qui passent quotidiennement par la Rocade de Bonnevoie ne les verront pas. Le lieu rappelle les images largement médiatisées des campements de sans-papiers à Paris. Les prix des loyers luxembourgeois rappellent également ceux de Paris.

Alpha a 33 ans. Il est arrivé au Luxembourg en 2006. Deux ans plus tard, il reçoit le statut de réfugié. Pour commencer sa nouvelle vie, il loue une chambre au dessus d’un café à Bonnevoie. Ses revenus se composent de petits boulots et du RMG. Le jour où il doit quitter son logement et se retrouve sans adresse, ses revenus cessent de rentrer. Sa situation précaire se poursuit au Foyer Ulysse, puis à l’Abri-Sud à Esch. Mais Alpha ne perd pas la tête. Il commence à travailler en tant que bénévole à la Stëmm vun der Strooss, qui l’occupe aujourd’hui avec un contrat ATI (pour : Affectation temporaire indemnisée). Ce revenu lui permet de recevoir le complément au RMG. Gagnant le salaire minimum luxembourgeois et avec un peu d’argent de côté, il cherche désespérément un nouveau logement pour refaire sa vie. Mais pour quelqu’un qui gagne 1 922 euros par mois (donc le salaire minimum pour salariés non qualifiés), la situation reste difficile. Car il lui manquera les garanties nécessaires à la location. D’autant plus que beaucoup travaillent en intérim ou au noir. Pourtant ils travaillent. Cette population tourne généralement en rond dans ces structures et a le plus grand mal de s’en sortir.

Bien qu’il reste inhabituel le phénomène du squat n’est pas inédit au Grand-Duché. En 2009 déjà, une quinzaine de jeunes occupe une maison délabrée dans la rue Mansfeld à Clausen. Ils revendiquent plus de logements accessibles pour les jeunes en difficulté. En juillet 2010, ils se font expulser par les forces de l’ordre. En 2013, un autre groupe s’installe dans une maison route d’Arlon, également vide depuis des années, mais en bon état. Les nouveaux habitants doivent la quitter après quelques semaines seulement. La différence entre le squat en plein air et les deux autres qui l’ont précédé, c’est que les occupants à Bonnevoie ont reçu toutes les autorisations nécessaires par le propriétaire du terrain. Leur voisin, Caritas qui gère le Foyer Ulysse, a même installé deux toilettes chimiques et la ville de Luxembourg a aidé les « campeurs » à nettoyer l’endroit avant l’installation des tentes.

Les statistiques ne prennent pas en compte ceux qui ne se sont jamais enregistrés au pays. Raduan, venu d’Italie, a travaillé toute sa vie dans la construction. Il y a quelques semaines, il décide de fuir la crise dans son pays et tenter sa chance au Luxembourg. Il se rend vite compte que, sans contacts, trouver un travail et un logement s’avère quasi impossible. Au foyer Ulysse, Raduan n’a pas sa place, vu qu’il n’a jamais été domicilié au Luxembourg. Depuis, il dort sur le parking où il s’est aménagé une petite baraque, propre et rangée. Il réfléchit à un retour en Italie.

D’autres, par choix idéologique, refusent toute dépendance matérielle. C’est le cas de Bob. Il s’est construit un refuge dans une des forêts qui entourent la ville. Bob ressemble à n’importe quel jeune homme qu’on pourrait croiser dans les rues de la capitale. Avec ses 31 ans, il a déjà vécu au Brésil, son pays de naissance, aux États-Unis, où il a grandi, en Suisse, en France et finalement au Luxembourg. Bob ne possède qu’un petit sac à dos. Un jour, aux États-Unis, il rentre du travail et découvre que sa copine a disparu avec tout leur argent. Bob décide de quitter le continent. Il vend tous ses biens et achète un billet d’avion pour la Suisse. Il y rejoint ses seuls contacts en Europe et arrive à décrocher un emploi. Il devient personne de compagnie d’une dame âgée. Or, il se rend rapidement compte que ses « amis » suisses sont toxicomanes. Ceci et le décès de la dame, précipitent son départ vers la France. À Lyon il veut rejoindre la Légion étrangère. Mais après deux semaines d’examens médicaux et sportifs, le médecin de la Légion lui découvre un problème à l’oreille gauche. Le jeune Américain rassemble tout ce qu’il possède et débute une marche de 350 km. Arrivé à Toul, près de Nancy, il monte dans un train qui le mène au Grand-Duché. Aujourd’hui, un an et demi après son arrivée, il colle des stickers sur des lampadaires et vit de donations de la Church of SubGenius (une religion de parodie issue de la contre-culture américaine et qui recherche l’état sacré du « slack »). « Si tu es en difficulté, il ne sert à rien de se lamenter, dit Bob. Il suffit de marcher et de prendre n’importe quel chemin ; il t’amènera sûrement à des nouvelles expérience ». Cette philosophie, il la tient d’Alice au Pays des Merveilles.

Patrick Galbats
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