Créativité de l'artiste

Empêcheurs de jouer en rond

d'Lëtzebuerger Land du 13.05.2010

Avec Kevin Muhlen comme nouveau directeur artistique, entrerait-on dans le Casino – Forum d’art contemporain comme dans un moulin ? On est enclin à le croire en contemplant la foule qui se pressait vendredi 30 avril au vernissage de l’expo-sition Ceci n’est pas un casino dont il est le curateur avec Jo Kox, grand communicateur devant l’Éternel.

Sans vergogne, les deux compères se sont emparés du désarroi de bon nombre de visiteurs qui pensent entrer, rue Notre-Dame, dans un temple de jeu. Comme si l’art n’était pas un jeu et vice-versa ! Depuis Aristote et Freud, nous savons que la créativité de l’artiste n’est qu’une sublimation du jeu de l’enfant et qu’elle a partie liée avec la mélancolie, bien sûr, mais aussi avec le vin et l’ivresse. Le plaisir de l’artiste, resté enfant, et du spectateur, devenu adulte, naît alors justement de la frustration et du manque engendrés par l’hiatus entre le jeu et la réalité, entre l’attente et sa non-satisfaction.

Les artistes invités se sont prêtés au jeu, à l’image de Stéphane Thidet dont le billard en forme de paysage montagneux, d’une beauté toute bucolique, nous rappelle les trains électriques de notre enfance. À l’image encore de Laurent Perbos qui a imaginé une sculpture anthropomorphe réalisée en balles de tennis, recouverte imparfaitement d’une toile bleue façon burqa, pourquoi pas, et transpercé de barres tel un Saint Sébastien des stades. Nous pensons inévitablement à notre Gilles Müller après un match contre Federer.

L’autotamponneuse n’a jamais si bien mérité son nom que dans l’installation de Pierre Ardouvin qui s’en tamponne de l’autre et des autres en installant son engin solitaire dans un étroit carré. Il nous invite ainsi à nous lover narcissiquement dans la machine pour nous adonner à l’auto-satisfaction, la « Selbstbefriedigung » des Allemands qui est, comme chacun le sait, le premier jeu de l’enfant.

Pendant le vernissage nous avons pu admirer Ian Monk qui déclinait la devise de l’exposition avec la malice d’un Queneau et d’un Rostand avant d’aller nous désaltérer avec une bière blanche servie par une belle Noire, desservie elle par un fût qui, à l’image des installations de l’expo, refusa opstinément de jouer le jeu. Ce qui n’empêcha pas Elena de se faire mousser en me lançant, avec un brin d’irritation : « Gees de schon erem bei d’Moss fir d’Mousse ! »

Il me reste à vous recommander le catalogue qui reproduit les œuvres des artistes en les agrémentant de remarquables textes, concoctés par quelques-unes de nos meilleurs plumes. Nota bene : ceci n’est pas du narcissisme !

Yvan
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