Cinéma

La symétrie imparfaite

d'Lëtzebuerger Land du 10.05.2019

Alice et Simon, Céline et Damien : deux couples, chacun un fils, Theo et Maxime, habitent deux maisons jumelées et sont meilleurs amis. Nous sommes dans les années 1960 et les rôles au sein de la famille sont assignées en fonction du genre. Les deux femmes restent au foyer, les deux hommes, aux allures de machos autoritaires, partent tous les matins après un dernier baiser envoyé à travers le carreau de la voiture.

Pour ce que l’on sait sur les personnages, Duelles d’Olivier Masset-Depasse s’en arrête presque là. À part que chacun des couples compte un personnage nerveux et chacun un partenaire plus posé. Leur monde parfait s’écroule lorsque le petit Maxime (Luan Adam) meurt accidentellement en tombant de la fenêtre. Dévastée par la disparition de son fils, Céline (Anne Coesens) se rapproche de plus en plus de Theo (Jules Lefebvres) et semble chercher une place dans la famille voisine. De son côté, Alice (Veerle Baetens) soupçonne sa meilleure amie de la manipuler afin de se venger de la mort de Maxime, dont celle-ci la croit en partie responsable.

Le nouveau long-métrage du réalisateur belge, qui avait signé le saisissant Illégal en 2010, s’installe ici plus que jamais dans le genre du pur thriller psychologique. Duelles, une adaptation libre du roman Derrière la haine de Barbara Abel, omet toute information sur la vie des personnages en dehors de leur maison et, à part les costumes et les décors, aucun contexte ne nous est donné par rapport à la période. Le film joue en Belgique, mais si on avait changé les plaques d’immatriculation, on pourrait très bien se croire dans une petite ville américaine. Il y a donc une volonté bien affichée de se centrer sur la guerre psychologique entre les deux femmes et d’explorer la dimension hitchcockienne du livre à sa manière.

Veerle Baetens, connue pour son excellente interprétation dans The Broken Circle Breakdown (2012) et Anne Coesens, ayant brillé dans Illégal, impressionnent sur toute la ligne. Leur descente continue dans les méandres de la jalousie et de la paranoïa se construit de manière trop apparente au niveau scénaristique mais devient captivante de par leur jeu. Le doute semé de part et d’autre en devient insupportable. Les soupçons laissés sur toute l’ampleur de l’intrigue en rajoutent encore à la fin d’une noirceur rare.

Et pourtant, on a l’impression qu’il nous manque quelque chose au niveau des images. La réalisation, quoique consciemment différente du style hitchcockien, reste trop en retrait dans certains moments-clés. Ainsi, lors d’une visite chez Céline et Damien après la mort de leur fils, Theo s’aventure dans la cuisine, alors qu’on sait qu’il s’y trouve des biscuits auxquels il peut faire une réaction allergique fatale. Si Hitchcock aurait joué sur un montage alterné entre une conversation anodine des parents et l’enfant qui s’approche de l’objet interdit, Olivier Masset-Depasse nous montre une mère inquiète et un garçon toussant fort qui sort après quelques instants de la cuisine, ce qui est certes plus réaliste, mais nettement moins efficace pour l’émotion qu’il veut générer auprès du spectateur. C’est vers la fin seulement que le réalisateur semble réellement se lâcher et couronne son film autrement réussi d’une mise en scène de thriller.

Fränk Grotz
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