Elle a la taille d’une joueuse de basketball et ne cache pas sa fierté d’avoir gagné le titre de vice-championne européenne à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui, à 45 ans, Laura Codruta Kövesi est devenue l’héroïne préférée des Roumains. Mais ce n’est pas le basket qui a fait sa réputation. Elle est considérée par les Roumains championne de la lutte anticorruption. À la tête du Parquet national anticorruption (DNA) de Roumanie depuis 2013 cette femme à l’allure sportive a semé la panique dans la classe politique de son pays. « Le fait que des ministres et autres fonctionnaires publics ont fait l’objet de nos enquêtes et qu’ils ont été condamnés montre bien qu’en Roumanie nous sommes tous égaux devant la loi, peu importe la position sociale ou la richesse qu’on a accumulé », affirme-t-elle.
Mais la campagne anticorruption a subi un coup dur en Roumanie. Le 9 juillet le président de droite Klaus Iohannis a limogé la procureure en chef du DNA suite à un bras de fer avec la majorité parlementaire de gauche. Cette destitution fait suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle rendu public le 31 mai. La haute instance juridique avait validé la décision du ministre de la Justice, Tudorel Toader, de destituer Mme Kovesi de la direction du DNA. Elle a été accusée d’abus de pouvoir et d’avoir nui à l’image de la Roumanie à l’étranger. Le chef de l’Etat a tenté de repousser l’arrêt de la Cour mais il a été menacé, lui aussi, d’être destitué de son poste par la majorité parlementaire. Lundi 9 juillet, le jour où sa destitution devait être annoncée publiquement, M. Iohannis a cédé face à l’arrêt de la Cour constitutionnelle et limogé la cerbère de la justice.
La Roumanie et la Bulgarie n’avaient pas pu adhérer à l’Union européenne (UE) en 2004 avec les dix autres pays de l’Europe centrale et orientale en raison de la corruption qui gangrénait les deux pays. En 2006, à l’âge de 33 ans, la jeune Laura Codruta Kovesi était nommée procureur de la République. Sa mission : démanteler les réseaux corrompus qui dévalisaient l’économie roumaine et paralysaient la classe politique. « Ma génération voulait changer les choses, explique la cheffe du DNA. La bataille la plus dure n’a pas concerné le changement des lois et des procédures, mais le changement des mentalités. »
Aujourd’hui le décompte est impressionnant. Des milliers d’hommes politiques et hauts fonctionnaires – ministres, députés, sénateurs, maires, secrétaires d’Etat – se retrouvent désormais derrière les barreaux. Rien qu’en 2017 les procureurs anticorruption ont renvoyé devant les tribunaux un millier de personnes dont trois ministres, cinq députés et un sénateur. La tension entre les procureurs anticorruption et une partie de la classe politique est montée d’un cran en 2016 depuis la victoire aux élections législatives du Parti social-démocrate (PSD). Le 20 juin le chef de file de la gauche et président de la Chambre des députés, Liviu Dragnea, a été condamné à trois ans et demi de prison ferme pour abus de pouvoir. Il avait déjà été condamné en avril 2016 à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. « Ce sont des condamnations politiques », déclare-t-il chaque fois qu’on lui rappelle les faits.
Depuis 2017 le PSD dirigé par Liviu Dragnea a essayé à plusieurs reprises de modifier les lois concernant la justice afin de blanchir son casier judiciaire, mais il s’est heurté à une vague de manifestations antigouvernementales. Lundi 18 juin les sociaux-démocrates ont modifié le code pénal afin de tenter une fois de plus de sauver leur chef. « Des hommes politiques sont en train d’opérer brutalement des changements de la loi pénale, a déclaré Mme Kovesi dans son dernier discours tenu aussitôt après avoir été limogée par le président. Ils veulent protéger leur passé, leur présent et leur futur. Nous défendons la société d’infracteurs dangereux. La volonté politique actuelle ne défend pas une justice indépendante mais essaie de bloquer nos enquêtes. »
La Commission européenne et l’ambassade américaine à Bucarest se sont aussitôt solidarisées avec les procureurs et appellent les autorités roumaines à respecter l’indépendance de la justice. « La lutte anticorruption et l’indépendance de la justice sont les fondements du mécanisme de coopération et de vérification (MCV), peut-on lire dans le communiqué de la Commission. La capacité du DNA d’avoir des résultats record dans la lutte anticorruption a été clairement soulignée dans les rapports MCV. Si ces résultats sont mis à l’épreuve la Commission pourrait réviser ses conclusions. »