Il fallait « Osé »

d'Lëtzebuerger Land du 20.08.2021

Petit cadeau du mois d’août, un peu pour consoler tous ceux qui n’auraient pas quitté le pays pour des destinations plus ensoleillées, que cette adresse encore confidentielle que je vous dévoile aujourd’hui. Direction Ellange pour rencontrer un jeune chef fraîchement débarqué au Luxembourg et qui, c’est certain, fera beaucoup parler de lui dès la rentrée.

Tout début juillet, Jean-Baptiste Durand a apposé son enseigne sur la maison occupée jusqu’alors par l’ancienne brasserie Am Duerf. Un pari « Osé » – c’est le nom de son restaurant – lancé pendant une période compliquée pour le secteur Horeca. Pour autant, ce Français de 29 ans ne semble pas avoir froid aux yeux et surtout, il sait où il va. « C’était mon rêve depuis toujours que d’ouvrir ma table avant mes trente ans. Quand mon frère, qui est mon associé, m’a proposé de me lancer ici, j’étais tout de suite partant », confie-t-il. Ni une ni deux, Jean-Baptiste contacte son ami Johan qui devient son second en cuisine – « c’était prévu depuis des années que ce serait lui le jour où j’ouvrirai » – puis recrute Théo, le pâtissier, Jeanne, la sommelière et Bastian pour la salle, riche de ses dix ans d’expérience au Luxembourg. La petite équipe est au complet et l’aventure démarre… avec des travaux. « On a tout refait à l’intérieur du restaurant. J’ai poncé les anciennes tables, mais aussi la planche du bar originel, mon frère a fourni du bois de son jardin, ma mère a brodé les serviettes et fait les rideaux… La peinture a été refaite, les lustres ont été changés : on a vraiment mis la main à la pâte pour faire un endroit où l’on se sent bien », décrit le chef.

Rapidement, une carte s’esquisse dans l’esprit de Jean-Baptiste. Une carte qu’il ambitionne de changer tous les mois et qui s’inspire évidemment des saisons, mais surtout de la nature que le chef affectionne tout particulièrement. « J’ai envie de varier ma cuisine en fonction de ce que je trouve dans le jardin ou dans la forêt. Il y a trop de belles choses durant une saison pour ne proposer qu’un menu, ce serait vraiment frustrant. Là, je me rôde encore, je découvre les producteurs locaux, je m’imprègne des lieux, mais j’ai déjà plein d’idées en tête », explique-t-il en nous faisant découvrir ses amuse-bouche du moment. Chou à la crème de Noilly Prat, galette de betterave, crème brocolis et œufs de poisson, puis truite fumée et poudre végétale comme un Apéricube. « Végétal », le style est annoncé. « J’ai travaillé au Bloempot, à Lille, avec Florent Ladeyn. C’est lui qui m’a vraiment fait découvrir cet aspect de la cuisine, on partait faire de la cueillette les après-midis et ce travail avec les plantes a considérablement enrichi mon style. Aujourd’hui j’ai toutes les herbes qui poussent dans le jardin de mon frère et je compte aménager prochainement le mien derrière le restaurant », indique le chef en servant une assiette de jambon du pays et des petits pois-carottes gourmands à souhait. « Je veux créer des surprises autour de choses simples. Au début, je partais dans tous les sens, je voulais m’exprimer. Puis j’ai appris à me recentrer sur l’essentiel et c’est ça que je fais aujourd’hui. Il faut bien sûr de la technique, mais il faut du goût avant tout ».

Et c’est autour d’une assiette – à se damner – de ravioles végétales, mousseline de colin aux herbes, mayonnaise poireaux et graines torréfiées que Jean-Baptiste Durand revient sur son parcours, jonché d’une flopée de noms de grands chefs étoilés. « J’ai grandi à côté de Disneyland, dans un petit village de Seine-et-Marne, en pleine campagne. D’où mon intérêt pour la nature, je ne me vois pas dans une grande ville ». À quinze ans, l’adolescent s’ennuie un peu dans son lycée ; sa mère décide alors de l’envoyer en stage chez un ami de la famille, Éric Guérin, une pointure de la gastronomie française. « Je me suis retrouvé près de Saint-Nazaire, au milieu des marais, dans les cuisines de la Mare aux oiseaux. Le premier jour, on m’a dit de rester dans un coin et d’observer. J’étais figé, totalement impressionné par le ballet des serveurs, les flammes, les odeurs, les Oui Chef !... Le soir, dans ma chambre, j’étais très ému et ça a été la révélation : je voulais faire ce métier », se souvient-il.

Direction le lycée hôtelier pour un bac en alternance au sein des cuisines de la Vieille Auberge, à Villeneuve le Comte, puis de celles du Burgundy, à Paris, aux côtés du chef Pierre Daret. « Une fois mon bac en poche, je suis passé demi-chef de partie aux garnitures et responsable des petits déjeuners. C’était de grosses journées, mais une super école ». Jean-Baptiste rejoint ensuite le Jardin des plumes, à Giverny, table récemment ouverte par son mentor Éric Guérin. Deux ans plus tard, l’établissement décroche sa première étoile. « J’étais alors sous-chef, c’était une grosse responsabilité et ça m’a fait décoller ». Le jeune homme en profite pour enrichir son CV et passe alors par les cuisines de Kitchen Galerie, dirigées par William Ledeuil, puis retourne à la Mare aux oiseaux, où il reste plus d’un an et demi en tant que premier chef de partie. « On m’a proposé la place de chef exécutif mais j’ai décliné. C’est là que je suis allé à Lille, au Bloempot. Puis j’ai eu besoin de bouger, de me ressourcer ».

Après une pause de deux mois, Jean-Baptiste fait la réouverture du Jardin des plumes auprès de David Galienne. « Ça a été incroyable de travailler auprès de lui, la cuisine était exceptionnelle, j’étais libre au niveau de la création. Quand j’ai fait ce que j’avais à faire, je suis partie à Collioure, à la mer, au restaurant la Balette, chez Frédéric Bacquié. C’est là que j’ai réappris la simplicité, le goût franc d’un produit bien cuit, accompagné d’un beau jus et d’une garniture bien déclinée. Et comme j’adore travailler le poisson, c’était parfait ». Une passion qui se ressent dans l’assiette de maigre de ligne servie en plat principal. « C’est ça ma cuisine, un poisson arrosé d’un léger filet d’huile d’olive que je cuis en douceur, sans trop l’agresser. Des poivrons multicolores qui m’inspirent et que je laisse longtemps compoter sur le coin du fourneau, une fleur de courgette pour la douceur, une huile de basilic maison », décrit le chef qui après Collioure, voyage un peu, se cherche beaucoup… avant de s’installer chez son frère, à Puttelange-lès-Thionville, durant le confinement… C’est finalement là qu’il se trouve, avec ce projet de restaurant qui l’émoustille. « Osé, c’est trois lettres car on est trois associés, mais c’est surtout trois mots : Origine, Saveur et Équilibre », dévoile-t-il autour d’une assiette de dessert composée d’un entremets fraise-verveine, de sureau et d’un sorbet persil-verveine, étonnant et exquis. Deux adjectifs qui siéent parfaitement à cette nouvelle table pleine de fraîcheur, qui promet de souffler un vent nouveau sur le paysage gastronomique local.

Salomé Jeko
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