Le Grand-Duché est-il l’épicentre d’une arnaque internationale à la cryptomonnaie ? Plus de 4 000 investisseurs. Autour d’une centaine de millions d’euros placés via une plateforme en ligne qui a interrompu ses transactions. Voilà les contours de l’affaire Crypto4Winners. Ils ont été définis par l’avocat Andreas Komninos mercredi soir lors d’une conférence téléphonique organisée à la demande d’investisseurs dans ces placements en cryptomonnaies, inquiets de ne pouvoir récupérer leur mise. Plusieurs d’entre eux ont déjà mandaté l’associé de Lydie Lorang. Ils étaient autour de 150 sur Zoom en ce milieu de semaine pour comprendre ce qu’un avocat luxembourgeois pouvait pour eux. L’une des raisons, a détaillé Andreas Komninos (tout en précisant qu’il ne faisait pas de publicité pour son cabinet en particulier), est que la direction de la plateforme vit au Luxembourg.
À la tête de Crypto4Winners, Adrien Castellani, 34 ans, ancien gérant de fortune pour le groupe Crédit Agricole au Grand-Duché. Il a rejoint la plateforme d’investissement en cryptomonnaie en 2021. Celle-ci venait d’être fondée par Luc Schiltz, un ressortissant luxembourgeois fraîchement sorti de prison. Son passé criminel et ses liens avec la société avaient été dissimulés aux investisseurs (d’Land, 19.01.2024). À dessein ? La justice le déterminera. Le parquet confirme au Land ce jeudi qu’une instruction est en cours, que des perquisitions ont été menées mercredi et qu’une arrestation a été opérée.
Selon les informations du Land, la personne placée sous mandat de dépôt est Luc Schiltz. Il est hospitalisé au Luxembourg après un accident de voiture intervenu la semaine passée. C’est d’ailleurs cet événement qui a précipité la suspension des transactions et la vive inquiétude des utilisateurs de la plateforme, lisible sur les forums Telegram.
Fin février, sur un fil C4W, les investisseurs se plaignent encore de rendements un peu moins élevés que les mois précédents. « Franchement trois pour cent par mois je trouve ça bien. Va trouver autre chose qui propose ça », rassure un certain Franc. « Puis juger sur un mois un peu faible, c’est dommage. Plus de sept pour cent depuis le début de l’année, je ne sais pas ce qu’il te faut », poursuit le même investisseur. Puis des doutes émergent. « Bonjour. Quelqu’un a déjà effectué un retrait total du pool usdt ? J’ai envoyé une demande vers le 20 février et je n’ai encore rien reçu », s’inquiète Alex, lundi 4 mars. Peut-être à cause du week-end. Le mardi 5, ils sont déjà plus nombreux à ne pouvoir retirer leurs profits. « Toujours rien ce soir pour un petit retrait de 2 000 euros. Les trades sont bloqués », constate Jd Beach. « Idem pour moi », confirme Théo. Mercredi, l’utilisateur CryptoEnthusiast prononçe le mot tabou : « Rug Pull ». Quand les organisateurs d’un marché crypto s’enfuient avec les mises. Une probabilité accentuée par un marché haussier, comme c’est le cas actuellement.
Vendredi 8 mars, la direction de la plateforme communique enfin : « Due to technical issues, we are currently conducting an internal investigation. Regrettably, we are unable to respond to all inquiries at this time ». Le passé de Luc Schiltz ressurgit sur les réseaux : condamnation à six ans de prison dont deux fermes. D’accord, « mais C4W ne tourne pas avec une seule personne », écrit Malcolm X. L’information de l’accident de voiture du Luxembourgeois et de son hospitalisation se diffuse. D’aucuns associent l’événement à l’impossibilité de distribuer les bénéfices du trading dont Luc Schiltz est l’un des cinq agents (selon des explications fournies l’an dernier par Adrien Castellani lors d’une réunion en ligne).
Samedi dans un « communiqué officiel » diffusé sur Telegram, Crypto4Winners soupçonne « une personne de s’être rendue coupable d’actes frauduleux ayant pu porter atteinte à l’intégrité des actifs ». « Il est aussi possible que les données actuelles et historiques à notre disposition aient été falsifiées, avec un degré de sophistication avancé », poursuit le communiqué. La plateforme dirigée par Adrien Castellani explique encore évaluer l’impact sur les actifs des clients de la plateforme. « Notre priorité est la protection et la récupération des assets des clients ainsi que leur retour », écrit le management, qui précise avoir prévenu les autorités et s’associer au « désarroi » des utilisateurs.
Sur les canaux Telegram, les esprits s’échauffent. Mike, un coach et prof de muscu à Dubaï, dit avoir investi ses économies, autour de 100 000 euros. « I rang every hospital. I got him », écrit-il. Les sociétés logeant les intérêts des deux actionnaires de Crypto4Winners sont justement domiciliées dans cet Émirat. D’aucuns avancent qu’un schisme est opéré entre « Adrien et Luc ». L’un et l’autre, ainsi que leurs clans respectifs, se renvoient la responsabilité. Circulent ainsi des photos et des vidéos montrant le train de vie fastueux de l’équipe dirigeante de la plateforme ces derniers mois, voyages en avion privé ou en hélico et sorties avec factures jetsettesques.
Mercredi soir, l’un des participants à l’appel Zoom d’Andreas Komninos dévoile son « désarroi »: « Nous avons ouvert un compte auprès de Crypto4Winners afin d’investir pour nous, mes beaux-parents, ma belle-sœur et ma grand-mère. Dois-je déposer plusieurs plaintes ? », demande-t-il, penaud. Pour l’heure, difficile de mesurer la nature de l’aliénation des avoirs et de la fraude, le cas échéant. La probabilité qu’il s’agisse seulement d’un problème technique demeure. Il faudrait le faire savoir vite, explique l’avocat. Tout le monde est présumé innocent tant qu’un tribunal n’a pas décidé du contraire.
« Si c’est un Ponzi, cela va être très problématique », lâche Andreas Komninos. L’avocat et une partie de ses collaborateurs ont travaillé d’arrache-pied ces derniers jours pour cerner le problème et définir une stratégie. « Le parquet luxembourgeois a tout intérêt à agir très vite (…) pour protéger la place financière », avance l’associé de Lydie Lorang, conseillère d’État, « une personne qui a une voix au Luxembourg ». Les événements se sont précipités ces derniers jours, mais les doutes sur les rendements mirifiques de Crypto4Winners avaient été partagés par des observateurs auprès des autorités policières et financières depuis le milieu de l’année dernière. C’est d’ailleurs la CSSF qui avait communiqué ses soupçons au parquet. Ce dernier avait ensuite ouvert une instruction visant la société luxembourgeoise C4W Management et deux de ses administrateurs, dont Adrien Castellani.
Un retard à l’allumage signe du manque de moyens accordés à la lutte contre la criminalité financière ? Selon les informations du Land, les autorités financières s’évertuent ces jours-ci à bloquer les différents comptes pour éviter toute fuite des capitaux. La plateforme Crypto4Winners échange des cryptocoins mais passe par des opérateurs tels que Binance pour convertir les actifs en monnaie de banque, euro ou dollar. La société spécialisée ScoreChain identifie le retrait récent de plusieurs centaines de milliers d’euros. Des procédures pénales et civiles sont ouvertes. De nombreuses juridictions sont concernées. Des milliers d’investisseurs potentiellement victimes. Le Luxembourg, qui a passé son examen de probité de justesse l’an passé face au Gafi, se retrouve à nouveau exposé par le truchement de la cryptomonnaie. Ni Adrien Castellani ni Luc Schiltz n’ont pu être joints.