Le score du Luxembourg en éducation financière se révèle très moyen pour un centre financier, notamment chez les 18-29 ans

Peut mieux faire

d'Lëtzebuerger Land du 22.12.2023

Les résultats du Luxembourg en termes de culture financière de sa population, notamment celle des jeunes adultes, méritent la mention « peut mieux faire » familière aux écoliers en cette fin de trimestre scolaire. Pour l’OCDE l’éducation financière du public (financial literacy en anglais) est de longue date une préoccupation majeure, qui s’est traduite en 2008 par la création de l’International Network on Financial Education (INFE). Tous les trois ans, une étude fait le point au niveau international. Sa dernière mouture, publiée vendredi dernier, a porté sur 39 pays, dont vingt membres de l’OCDE*. Le Luxembourg y participait pour la première fois, mais, à y regarder de plus près, l’enquête le concernant a été réalisée en décembre 2022 et ses résultats ont été dévoilés le 24 mars 2023 lors d’une conférence intitulée « Les challenges de l’éducation financière au 21e siècle » organisée par la Fondation ABBL pour l’éducation financière et la CSSF.

Les données ont été intégrées au document de l’OCDE - qui est en réalité une compilation d’études nationales menées selon la même méthodologie mais à des moments différents – ce qui permet d’effectuer des comparaisons avec les 38 autres participants. Les « résultats agrégés » du Luxembourg sont a priori plutôt flatteurs mais les points d’inquiétude ne manquent pas. Le score global de culture ou d’éducation financière est de 68 points (sur un maximum possible de cent), ce qui place le Grand-Duché à la cinquième place mondiale derrière l’Allemagne (76 points), la Thaïlande (71), Hong-Kong et l’Irlande (70 chacun). Le Luxembourg se situe ainsi au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (63), devant les Pays-Bas (64), la France (62) et surtout l’Italie qui porte le bonnet d’âne (36e sur 39 avec 53 points). Néanmoins il n’y a pas de quoi pavoiser car à peine plus d’un résident sur deux (53 pour cent précisément) a atteint le score minimum requis pour être considéré comme « éduqué financièrement ».

Selon la méthodologie de l’OCDE l’éducation financière comprend trois composantes : les connaissances financières (financial knowledge), le comportement financier (financial behaviour) et les attitudes financières (financial attitudes). De façon un peu inattendue, c’est sur les connaissances financières que le Luxembourg obtient son plus mauvais classement : mais avec 71 points, il occupe une très honorable dixième place, loin derrière l’Allemagne (85) mais juste derrière la Suède et l’Irlande (72 chacun) et avec quatre points de plus que la moyenne OCDE. Deux adultes sur trois ont eu un score supérieur à 70 points, qui constituait le « minimum target score ».

En matière de comportement financier, le Luxembourg arrive huitième avec 67 points, ex-aequo avec les surprenantes Philippines. Parmi les pays mieux placés on trouve sans surprise l’Allemagne (3e avec 74 points) et l’Irlande (4e avec 73 points) mais aussi des pays plus inattendus comme Malte (1er avec 77 points), l’Arabie saoudite, l’Indonésie, le Brésil et la Thaïlande. À nouveau environ deux Luxembourgeois sur trois ont atteint le score minimum requis fixé à soixante points, traduisant des « comportements financiers avisés ».

Enfin, c’est sur le volet « Attitudes financières » que le Luxembourg obtient son meilleur classement : sixième avec 63 points, soit cinq de plus que la moyenne OCDE. La Thaïlande est à nouveau dans le peloton de tête (première avec 77 points). Selon les auteurs de l’étude, les Luxembourgeois sont nettement plus prévoyants que les habitants des autres pays. Le principal sujet d’inquiétude vient des jeunes de 18 à 29 ans. Au Luxembourg ils obtiennent des scores nettement inférieurs à ceux de la moyenne générale de la population, et leur classement international en est sérieusement affecté.

En matière de connaissances financières, les jeunes luxembourgeois n’arrivent qu’en 21e position, ex-aequo avec le Pérou, le Paraguay, l’Arabie saoudite, l’Uruguay et, maigre consolation, la France. Leur score de 57 points est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE (63), à longue portée des 95 points de Hong-Kong. Sur les comportements financiers ils ne sont que 12e avec néanmoins un score de 65 points, supérieur à la moyenne de l’OCDE. Enfin ils n’apparaissent qu’à la 15e place (ex-aequo avec les Pays-Bas et le Costa Rica) du classement des attitudes financières, avec un score d’à peine 56 points, comparable à la moyenne OCDE.

Ces résultats, assez décevants au niveau de la population dans son ensemble, mais franchement mauvais pour de segments comme les 18-29 ans ou les femmes (d’Land, 31.03.2023) ne pouvaient pas être bien reçus dans un pays qui dispose depuis plusieurs années d’une stratégie nationale, régulièrement mise à jour, en matière d’éducation financière, avec la CSSF et l’ABBL au centre du dispositif. La CSSF est plutôt orientée vers la sensibilisation du public, grâce notamment à son portail www.letzfin.lu, tandis que l’ABBL a créé une fondation pour l’éducation financière organisant des « ateliers » pour les enfants, les adolescents et même les adultes. Début 2023 elle a lancé l’application mobile Money Odyssey dont le contenu est conforme aux recommandations de l’OCDE et de la Commission européenne. Chaque année depuis 2015, elle organise la « Woch vun de Suen » à destination des élèves de dix à douze ans, un événement soutenu par le Ministère de l’Éducation, de l’Enfance et de la Jeunesse, qui s’inscrit dans le cadre de l’European Money Week initiée par la Fédération Bancaire Européenne et de la Global Money Week chapeautée par l’OCDE. La route est encore longue avant que tous ces efforts portent leurs fruits.

Disposer d’une bonne éducation financière est un facteur-clé du financial wellbeing des individus, qui leur permet de réaliser les choix les plus pertinents et d’échapper au stress. Au classement du « bien-être financier », les Luxembourgeois dans leur ensemble sont huitièmes sur 39 pays avec 48 points, mais c’est à peine mieux que la moyenne OCDE et surtout à 25 points derrière l’Allemagne, première du palmarès avec 73 points. Ils sont aussi devancés par Hong-Kong (61) et par cinq pays européens nettement au-dessus des cinquante points (Irlande, Pays-Bas, Portugal, Espagne et Suède). Comme on pouvait le craindre, les 18-29 ans ne se classent que 14e avec 42 points, en-dessous de la moyenne OCDE (44) et 28 points derrière les jeunes allemands.

Les lacunes en éducation financière ont aussi une conséquence macro-économique défavorable. Elles se traduisent par une forte aversion au risque et une « préférence pour la liquidité » de sorte qu’au Luxembourg plus de quarante pour cent du patrimoine financier des ménages est composé de numéraire et de dépôts à vue (moins de treize pour cent en France). Une proportion qui a tendance à augmenter alors que, comme partout ailleurs en Europe, le gouvernement tente désespérément de flécher l’épargne des ménages, très abondante, vers les placements financiers et « l’économie réelle ».

 

* OECD/INFE 2023 International Survey of Adult Financial Literacy, publié le 15 décembre 2023,
76 pages. À noter que pour des raisons variées, des pays importants comme la Chine, l’Inde, les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Belgique n’ont pas participé à l’étude 2023, ce qui limite quelque peu la portée des comparaisons.

Méthodologie variable

Selon la méthodologie de l’OCDE/INFE, les personnes sondées doivent répondre au total à 18 questions : sept sur les connaissances financières, neuf sur les comportements et deux sur les attitudes. Réalisé en décembre 2022 auprès de 1 017 résidents luxembourgeois âgés de 18 à 79 ans qui ont répondu à un questionnaire en ligne, et intitulé « Évaluation de la culture et de l’inclusion financières au Luxembourg » le sondage d’ILRES est allé plus loin. Il comportait au total 29 questions, dont dix sur les connaissances, douze sur les comportements et sept sur les attitudes. Seules les réponses aux 18 questions correspondant à sa propre méthodologie ont été conservées par l’OCDE pour son document paru le 15 décembre.

Georges Canto
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