Dans la plupart des pays développés, le système de pension est fondé sur trois « piliers ». Le premier est le régime de base obligatoire de sécurité sociale. Le deuxième est représenté par les régimes complémentaires auxquels cotisent obligatoirement les employeurs et leurs salariés. Le troisième pilier est constitué par les plans d’épargne collectifs et/ou individuels, qui restent facultatifs. Aux États-Unis, selon Catherine Collinson, présidente du TCRS (Transamerica Center for Retirement Studies), ce « tabouret à trois pieds » est en train de se transformer en chaise, avec un quatrième support : le travail !
Selon la seizième étude annuelle publiée début mai par cet organisme basé en Californie, 37 pour cent des personnes actives envisagent de percevoir des revenus du travail pendant leur retraite. Plus on approche de l’âge fatidique, plus cette conviction est présente : 82 pour cent des actifs sexagénaires pensent continuer à travailler au-delà de 65 ans (âge légal de départ en retraite), et ceux qui partiront à cet âge entendent reprendre une activité.
En cause, l’insuffisance du « troisième pilier ». Dans ce pays où l’on commence pourtant à cotiser très tôt (à partir de 22 ans en moyenne, avec 67 pour cent des « vingtenaires » détenant déjà un compte épargne-retraite), un futur retraité sur deux a accumulé, juste avant l’âge légal, moins de 172 000 dollars, et ne peut avec cette somme maintenir son niveau de vie précédent pendant plusieurs années, surtout en tenant compte d’imprévus liés à la santé ou à la dépendance, dont le coût est exorbitant aux États-Unis.
Les conclusions de l’étude américaine correspondent en tous points à ceux des enquêtes récurrentes menées au niveau mondial (16 000 personnes interrogées dans quinze pays) par la banque HSBC sous le titre générique « Future of retirement ». La dixième édition, parue en janvier 2015, et la onzième, publiée fin avril, confirment en effet les craintes exprimées par les futurs retraités américains.
Pourtant l’époque n’est pas si lointaine où la vie des pensionnés était présentée sous les meilleurs auspices : partant en retraite de plus en plus jeunes, ils vivaient de plus en plus vieux et en meilleure santé, avec des revenus souvent supérieurs à ceux des actifs. Aujourd’hui près d’un quart (23 pour cent) des personnes en âge de travailler estiment que leur niveau de vie à la retraite va sérieusement baisser, une crainte particulièrement répandue chez les actifs de pays développés comme la France (54 pour cent), le Royaume-Uni, Hong Kong et l’Australie (quarante pour cent à chaque fois).
Dans ces pays, face à la faillite virtuelle des systèmes par répartition qui fondent les deux premiers piliers, l’épargne personnelle devait jouer un rôle décisif. Mais son insuffisance est criante. Globalement, les futurs retraités s’attendent à ce que leur épargne-retraite (hors pensions) soit épuisée au bout de onze années. Or, compte tenu d’un âge effectif de départ en retraite qui est en moyenne de soixante ans et d’une espérance de vie moyenne de 78 ans, il existe un écart de sept ans pendant lequel les retraités seront uniquement tributaires d’une pension personnelle (régime général plus complémentaire, c’est-à-dire les deux premiers piliers).
La faiblesse de l’épargne-retraite est liée à plusieurs facteurs, dont certains sont connus depuis longtemps. L’insouciance d’abord. 38 pour cent des retraités reconnaissent avoir commencé à épargner trop tard pour constituer une cagnotte suffisante en vue de la retraite, ne sachant pas non plus combien il aurait fallu mettre de côté. Les deux tiers de ceux qui se plaignent de la modicité de leurs revenus avouent n’en avoir pris conscience qu’au moment où ils ont pris leur retraite. La faiblesse des revenus d’activité ensuite, citée par 35 pour cent des personnes en âge de travailler et par un quart des retraités, qui ne permet pas d’épargner assez, ainsi que le poids des remboursements d’emprunts (évoqué par un actif sur deux). En troisième lieu un nombre élevé de répondants ont dû faire face à des « accidents de la vie » qui ont significativement impacté leur capacité d’épargne : perte d’emploi dans un quart des cas (mais un tiers dans certains pays d’Asie comme Hong-Kong ou la Malaisie et près de quarante pour cent au Mexique), maladie, accident ou arrêt de travail du conjoint (vingt pour cent) ou encore la nécessité de s’occuper d’un membre de la famille (dix pour cent).
Cela étant, le ralentissement économique mondial, consécutif à la crise de 2007-2008 a aussi joué un rôle négatif pour 26 pour cent des actifs, et la moitié d’entre eux se plaignent toujours d’une diminution de leur pouvoir d’achat Pour compenser la différence, beaucoup comptaient sur un héritage. Mais là aussi il faut déchanter : à peine un tiers des sondés de moins de 65 ans en ont effectivement reçu un, et chez les personnes plus âgées la proportion est inférieure à la moitié (48 pour cent). Au final, par rapport à avant la crise, quatre futurs retraités sur dix disent avoir arrêté ou réduit leur épargne pour la retraite, sous toutes ses formes : investissements, dépôts bancaires ou assurance-vie. Et presqu’un tiers des plus de 45 ans n’épargnent pas du tout ou n’ont pas l’intention de le faire.
Une des conséquences de cette situation est que, au niveau mondial, 39 pour cent des retraités reçoivent actuellement un soutien financier régulier de la part de tiers. L’effondrement de la capacité d’épargne des pensionnés et de ceux qui s’apprêtent à prendre leur retraite est d’autant plus préoccupant qu’ils ne sont pas seuls en cause. Six retraités sur dix et près de huit actifs sur dix fournissent en effet un soutien financier régulier à au moins une autre personne. Dans les économies émergentes, la proportion est encore plus élevée : en Inde, 90 pour cent des personnes en âge de travailler le font, une proportion qui atteint 92 pour cent en Malaisie et aux Émirats arabes unis et même 96 pour cent en Indonésie. Dans 37 pour cent des cas il s’agit de soutenir un conjoint ou un partenaire et dans trente pour cent des cas des enfants de moins de seize ans.
Six actifs sur dix se disent inquiets quant à la possibilité de soutenir financièrement leur famille ou leurs amis une fois en retraite, et une proportion similaire (56 pour cent) redoute même de devenir dépendante d’un soutien financier pendant la retraite. Une crainte d’autant plus fondée que 44 pour cent des actifs se font déjà aider.
Dans ces conditions, il n’est plus guère possible pour les retraités de mettre de l’argent de côté pour le transmettre à leurs enfants. Seulement treize pour cent jugent important de le faire, avec toutefois des pourcentages plus élevés en Asie du sud-est (28 pour cent en Indonésie).
Pour autant leurs dépenses ne sont pas nécessairement tournées vers l’agrément. En effet les pensionnés ont dû en rabattre sur certaines intentions manifestées au moment de leur départ en retraite : près des trois quarts (73 pour cent) avouent avoir été incapables de réaliser au moins une de leurs aspirations, notamment en matière de grands voyages (21 pour cent), de vacances (18 pour cent) et de vie à l’étranger (17 pour cent).
En revanche, ils doivent consacrer des sommes importantes à leur santé, ce qui inquiète les futurs retraités : trois quarts d’entre eux se disent préoccupés par les dépenses à prévoir, une proportion qui culmine à 80 pour cent parmi ceux qui soutiennent déjà financièrement des personnes âgées parentes ou amies.