La morosité économique persistante du Japon et de nombreux pays d’Europe n’est pas sans rapport avec le vieillissement de leur population, visible depuis plusieurs décennies. Or, selon un rapport publié le 6 août par l’agence de notation Moody’s, le phénomène gagne désormais de nombreux pays émergents, de sorte que c’est la croissance économique mondiale qui risque d’en faire les frais dans les prochaines décennies. Car les inconvénients du vieillissement s’apparentent à une véritable « taxe démographique » que devront acquitter un nombre croissant de pays sur la planète.
Dès 2015, dans 67 pays sur les 112 étudiés par Moody’s, la proportion des habitants ayant 65 ans et plus sera supérieure à sept pour cent, ce qui permet, selon l’Onu, de les considérer comme « vieillissants » (ageing). Cinq d’entre eux auront même une population « super-âgée », avec une proportion égale ou supérieure à vingt pour cent, la Finlande et la Grèce rejoignant le Japon, l’Allemagne et l’Italie, qui ont d’ores et déjà franchi le cap.
Et la situation ne va pas s’arranger puisqu’en 2020, ce ne sont pas moins de huit nouveaux pays, tous européens, qui rejoindront ce club, portant son effectif à treize (lire encadré). En 2030, 34 pays seront concernés, soit dix fois plus qu’aujourd’hui !
Personne ne sera épargné, pas même les pays émergents, où le rythme du vieillissement est parfois déjà plus élevé que dans les économies développées. Parmi les pays peuplés, certains comme la Chine ou la Russie sont déjà « vieillissants », avec respectivement 7,7 pour cent et 12,8 pour cent de la population ayant 65 ans et plus. Le Brésil et l’Indonésie se rapprochent de la barre des sept pour cent, l’Inde et le Pakistan faisant encore exception. « La transition démographique, que beaucoup considèrent comme un enjeu de long terme, est en réalité déjà juste devant nous », souligne Elena Duggar, vice-présidente de l’agence américaine et co-auteur du rapport.
Depuis plusieurs années, cette évolution, déjà bien entamée dans les pays développés, et notamment en Europe, est surtout abordée sous l’angle du financement des retraites et des problèmes qu’il pose aussi bien aux actifs (qui doivent « entretenir » des inactifs toujours plus nombreux) qu’aux finances publiques, déjà passablement délabrées.
Le rapport de Moody’s considère plutôt l’impact du vieillissement sur la croissance économique qui « va se réduire de façon significative». Les taux annuels de croissance dans le monde vont décliner de 0,4 point sur la période 2014-2019, puis de 0,9 point entre 2020 et 2025. Si on se souvient que lors des deux dernières décennies, le taux de croissance mondial était proche de trois pour cent par an, c’est une perte substantielle, de l’ordre du tiers après 2020.
Le vieillissement va d’abord affecter la population mondiale en âge de travailler, qui augmentera seulement de 13,6 pour cent entre 2015 et 2030, soit presque moitié moins vite que lors des quinze années précédentes (24,8 pour cent entre 2000 et 2015). Hormis quelques pays africains, tous les pays seront confrontés à ce ralentissement, ou connaîtront même une diminution. Dans seize d’entre eux, comme l’Allemagne, la Russie, l’Ukraine et le Japon, le déclin sera supérieur à dix pour cent d’ici 2030.
Outre un effet négatif sur la population active, le vieillissement de la population « va également réduire les taux d’épargne des ménages, ce qui affectera l’investissement ». Selon Moody’s, « des estimations universitaires montrent qu’une hausse d’un point du ratio entre la population âgée de 65 ans et plus et la population des 15-64 ans conduit à un déclin de 0,5 à 1,2 points du taux d’épargne moyen ». On peut par ailleurs prévoir que l’épargne se dirigera davantage vers des placements « sécuritaires », car, les exemples historiques abondent, une population vieillissante est toujours plus frileuse et averse au risque.
Elle est aussi plus conservatrice sur le plan politique et social, ce qui fait obstacle à certaines solutions envisagées dans le rapport, comme le développement des flux migratoires. Compte tenu des problèmes que pose l’immigration dans de nombreux pays (notamment en Europe) et des réactions qu’elle suscite, il est délicat d’y avoir recours de manière importante pour compenser le déclin démographique naturel, « l’immigration choisie » et la régulation des flux selon les besoins ayant montré leurs limites dans un monde aussi ouvert que le nôtre.
D’autres solutions sont envisageables pour atténuer ou compenser l’impact du vieillissement de la population sur l’économie. Augmenter le taux d’activité des femmes par exemple, comme s’y emploie le Premier ministre japonais Shinzo Abe, confronté à une baisse rapide de la population active nippone. Favoriser l’emploi des seniors est une autre piste : dans les pays de l’OCDE, seule une personne sur deux dans la tranche 55-64 ans est encore en activité, et, malgré une hausse depuis 2007, le taux d’emploi n’est encore que de quarante pour cent environ en Belgique, en Italie et au Luxembourg. Quant aux personnes âgées de 65 à 69 ans, moins d’une sur cinq est au travail dans l’OCDE, alors que pourtant l’âge de la retraite a été reculé un peu partout. Moody’s a noté qu’en Allemagne, où l’âge de la retraite avait été reculé à 67 ans (avant d’être ramené à 63 ans pour une partie importante des travailleurs), la participation des plus de 65 ans au marché du travail reste quatre fois moins élevée qu’au Japon.
L’agence de notation américaine, qui note tout de même que l’impact du poids des personnes âgées sur le PIB sera très différent d’un pays à l’autre, en fonction de leurs taux de chômage et de pauvreté, pense finalement que, à long terme, « l’innovation et le progrès technique qui vont améliorer la productivité, ainsi que le capital humain, pourront réduire les effets du profond changement démographique sur la croissance », d’autant plus que la naissance d’une « économie argentée » par référence aux cheveux blancs (silver economy) ouvre aussi de nouvelles opportunités.