Hypothèse. Et si le départ (précipité) de Marc Olinger et de sa famille – au sens propre : son épouse Claudine Pelletier, très présente dans la maison, et au figuré : les acteurs et metteurs en scène plus ou moins dépendants de ses contrats – constituait la troisième révolution dans l’histoire récente du théâtre luxembourgeois ? Au même titre que la création, en 1996 par Frank Hoffmann, alors soutenu par la ministre de la Culture Erna Hennicot-Schoepges (CSV) qui rêvait d’un ensemble national là où le Luxembourg n’avait que des théâtres communaux ou privés, du Théâtre national du Luxembourg, déjà perçu à l’époque par Marc Olinger comme une agression sur son règne autocratique sur la scène autochtone. Ou comme la nomination de Frank Feitler à la direction du Grand Théâtre rénové (après la mort de Jeannot Comes), qui, dès 2003, allait révolutionner le théâtre au Luxembourg, ne travaillant plus qu’avec les plus grands opéras et théâtres d’Europe, de la Monnaie de Bruxelles au festival d’Aix, du Thalia Theater de Hambourg au National Theatre de Londres, coproduisant des spectacles souvent risqués des meilleurs metteurs en scène et chorégraphes du moment, jouant soudain dans la cour des grands et valorisant l’opéra ou introduisant enfin la danse contemporaine comme une discipline à part entière sur une scène publique.
Développement Certes, Marc Olinger fut un pionnier. En son temps. Passionné de théâtre, il quitta l’enseignement pour se lancer corps et âme dans le Capucins après avoir contribué à la création du TOL et à l’émancipation de la jeune garde d’alors par rapport au père du théâtre luxembourgeois, Eugène Heinen. Marc Olinger et Philippe Noesen au Centaure cherchaient la connexion avec le théâtre francophone le plus actuel, jouant Beckett et Ionesco, souvent pour la première fois au Luxembourg. Son Capucins allait être une maison de création, donnant souvent carte blanche à de jeunes talents, leur concédant les moyens techniques et financiers pour expérimenter. Mais 25 ans à la tête d’une maison, c’est long. Très long. D’autant plus que le directeur avait jadis négocié, avec ses patrons de la Ville, le droit de jouer et de mettre en scène en parallèle. La programmation francophone resta donc majoritairement une programmation coup de cœur, reflétant les goûts de Marc Olinger, et faisant jouer les membres du « clan ». Le théâtre germanophone par contre se libéra et se modernisa peu à peu, dès la fin des années 1990, avec les jeunes loups que furent alors Frank Hoffmann, Frank Feitler ou Charles Muller, formés en Allemagne et faisant souffler un vent nouveau, un air de Regietheater au Capucins – et profitant, il faut le souligner aussi, de beaucoup de libertés dans la maison.
Le départ de Frank Hoffmann fut vécu comme un parricide, même s’il s’agissait peut-être simplement d’un désir d’indépendance. Rétrospectivement, la création du TNL était sans conteste un coup de chance pour le théâtre germanophone, qui reste connecté à la scène internationale, par le lien avec le festival de Recklinghausen, mais aussi par les nombreux contacts et le va-et-vient de metteurs en scène et surtout d’acteurs qui vivent et travaillent en Allemagne. D’ailleurs ces acteurs sont formés aux grandes écoles de théâtre allemandes. Mais le théâtre en français était en perte de vitesse, ces pièces à textes et à costumes, au mieux divertissantes, souvent à dormir debout, n’ayant plus évolué depuis des années. La rupture actuelle constitue cette chance de renouveau dont a besoin le théâtre francophone au Luxembourg.