23 avril 2011 : Journée mondiale du livre et des droits d’auteur

Livres à la poubelle, éditeurs au débarras !

d'Lëtzebuerger Land du 21.04.2011

Plus pitoyable que ça tu meurs : le stand officiel du Grand-Duché de Luxembourg au Salon du Livre de Paris, installation conçue et gérée par le ministère de la Culture, a battu tous les records du bricolage lamentable. Citons à ce propos l’extrait d’un commentaire furieux d’Albert Daming, l’ancien président de la Fédération des éditeurs luxembourgeois : « Der luxemburgische Stand auf dem Salon du Livre in Paris fiel in diesem Jahr durch ein Vakuum an ausgestellten Büchern auf. Von den wichtigsten einheimischen Verlegern waren keine Bücher zu sehen. Auch die Standwände waren leer – nicht mal ein Plakat mit Werbung für unser Land! Zwei Bretter auf Holzböcke montiert dienten als Theke. Wo sind sie geblieben, die vor Jahren teuer er­standenen Ausstellungsmöbel, bezahlt mit dem Geld des Steuerzahlers? »

La réaction d’un auteur luxembourgeois publié régulièrement en France et habitué des foires du livre, est tout aussi significative : il dit avoir fui le stand grand-ducal, parce qu’il ne supportait pas de rester plus de deux minutes dans cet espace affligeant. Ce stand à l’allure d’écoeurant débarras confirme un fait choquant : l’incapacité continue de la ministre d’administrer tant soit peu convenablement le secteur du livre et de la littérature. Elle n’aime pas les livres, on le constate à tout bout de champ. Aucun vigneron privé, même pas celui qui n’a qu’une « horrible piquette » (dixit Jean Ferrat) à proposer, ne se permettrait une telle débâcle publicitaire. Or, la ministre poursuit imperturbablement sa voie désastreuse. Elle brusque constamment les auteurs et les éditeurs par des décisions de plus en plus étranges et confuses. Elle n’obéit qu’à son entêtement dont personne ne devine plus les tenants et les aboutissants.

Dans une interview publiée par le Lëtzebuerger Land (25 mars 2011), la journaliste Josée Hansen demande à la ministre : « Et toujours aujourd’hui, vous vous faites souvent attaquer par des auteurs comme Guy Rewenig ou Guy Wagner, qui vous reprochent une attitude hostile envers la culture en général et la littérature en particulier. Est-ce que cela vous affecte toujours ou comment réagissez-vous à ces critiques et interpellations ? » La ministre répond : « J’ai l’impression qu’aujourd’hui, en politique, il faut davantage communiquer que travailler. Ce n’est pas mon approche. Moi, je prends ma responsabilité et je travaille. »

Quel enseignement en tirer ? Cela sonne un peu comme si la ministre disait : Moi, je travaille, et les autres – les irresponsables – ne font que rouspeter. Voilà bien son genre qui fait jaser les auteurs et les éditeurs. Elle a pris l’habitude d’ignorer tous les signaux de détérioration. Elle ne communique pas, et pour cause. Peu à peu, on a l’impression que ce n’est pas par principe, mais par négligence chronique. Non seulement la ministre n’est pas informée, mais visiblement elle ne veut pas l’être. Elle ne craint pas de se ridiculiser. Pour elle, il suffit de satisfaire les auteurs et les éditeurs avec un misérable étalage de fripier. Le phénomène est général : plus le secteur culturel se professionnalise, plus la ministre s’engouffre dans le dilettantisme accompli.

Regardons donc de plus près ce travail dont la ministre se vante. Certains journalistes de droite lui attestent parfois un Bienenfleiß. Ce n’est pas forcément un compliment. Les abeilles évoluent dans une structure rigide, elles exécutent aveuglément leur tâche. La ministre est juriste de formation, donc habituée à un système de règles pratiquement immuables. Le droit est tout à fait le contraire du champ culturel. Il demande avant tout le respect inconditionnel des paragraphes. La culture est le domaine de l’invention, donc aussi de la transgression. Or, ce qui manque le plus à la ministre, c’est la faculté d’inventer, de faire preuve d’imagination, de proposer des concepts et des idées. Si déjà elle n’a pas ces qualités, on s’attendrait au moins à ce qu’elle écoute et consulte les créateurs sur le terrain, qu’elle leur demande par exemple un support d’inspiration ou que, simplement, elle les laisse agir librement. Malheureusement, il n’en est rien. Le travail de la ministre est obscur au premier sens du mot, elle le pratique dans le noir du vase clos chrétien-social.

Un exemple : À une question parlementaire du député Claude Adam, la ministre répond entre autres qu’en 2009, 70 écrivains auraient voyagé à l’étranger grâce à un important soutien du ministère. C’est un chiffre farfelu, inventé pour épater la galerie mal informée. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu 70 écrivains luxembourgeois qui, en l’espace d’une seule année, auraient présenté leurs textes à l’étranger. Pourquoi ce recours obsessionnel à la contre-vérité, pour ne pas dire à la mythomanie ? Pour gonfler insidieusement un bilan infiniment maigre ?

Un autre exemple : Sans aucun préavis, la ministre réduit de 40 pour cent le montant du prix au concours littéraire national. Pourquoi ce ravage au niveau d’un poste de budget déjà très frêle ? Pourquoi systématiquement couper, amoindrir, rabaisser, au lieu de promouvoir et d’élargir ? La croissance culturelle est la seule à ne pas avoir d’effets nocifs. Pourquoi alors imposer la précarité où seule la générosité fait sens ?

Un autre exemple : Corina Ciocârlie, auteure d’origine roumaine et de nationalité luxembourgeoise, se voit refuser la prime à la publication qui est pourtant un droit acquis des auteurs depuis son introduction bien avant l’ère Modert. Explication de la ministre : Son livre est écrit en langue roumaine, ce qui serait un motif d’exclusion. Littéralement : « Il faut quand même des critères. » C’est très surprenant. Car sous la ministre actuelle, l’attribution de la prime à la publication se fait à la tête du client, sans critères intelligibles et sans transparence aucune.

Détail piquant : outre la discrimination manifeste de la langue officielle d’un pays membre de l’Union européenne qu’elle se permet, la ministre a en plus la mémoire bien courte. En 2007, quand Luxembourg fut Ville européenne de la culture, les voyages de la ministre et de son entourage en Roumanie se suivaient à un rythme époustouflant. On aurait dit une véritable frénésie pro-roumaine, générée par l’enthousiasme pour les particularités des habitants de Transylvanie qui, pour l’occasion, figurait quasiment comme colonie linguistique du grand-duché. Autre détail piquant : il y a quelques semaines, le livre refusé de Corina Ciocârlie, In cautarea centrului pierdut, s’est vu décerner en Roumanie le « Prix du meilleur livre de critique, théorie et histoire littéraire de l’année 2010 ». 

Un autre exemple : sans raison ni nécessité, la ministre décide que dorénavant son administration va publier les textes primés au concours littéraire national. L’écrivain Georges Hausemer, dans son blog The Capybara Gazette, s’insurge contre cette démarche parfaitement insensée : « Mit Verlaub: Ist die Dame nun endgültig von allen guten Kulturgeistern im Stich gelassen worden? Wie soll das denn gehen? Ein Ministerium als Büchermacher? Und wer, bitte, kümmert sich um Lektorat, Vertrieb, Marketing? Welcher ernstzunehmende Autor möchte denn seine Werke unter dem Signet einer staatlichen Behörde veröffentlicht sehen? Erinnert sich noch jemand an die DDR? Wie war das in Rumänien unter Ceausescu? Schon mal was von den Staatsverlagen Chinas und Nordkoreas gehört? »

Détail piquant : la ministre ne tombe pas seulement dans le dos des éditeurs luxembourgeois, elle ignore aussi l’échec cuisant de sa collègue au ministère de l’Éducation dans une affaire similaire. En effet, cette administration voulait elle aussi se lancer dans l’édition en publiant une anthologie de textes d’auteurs luxembourgeois, destinée aux classes supérieures des lycées. Le projet a vite sombré, vu que les fonctionnaires du ministère n’étaient même pas capables de régler correctement les questions préliminaires de droits d’auteurs et d’éditeurs.

Guy Rewenig
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