On ne manque pas de films sur la guerre du Vietnam (1955-1975). Et malgré la retentissante défaite de l’armée US, les plus grands cinéastes américains n’ont pas hésité à peindre ce conflit – Voyage au bout de l’enfer (1978) de Cimino, Apocalypse Now (1979) de Coppola, Full Metal Jacket (1987) de Kubrick. On ne peut en dire autant des Français, la guerre d’Indochine (1946-1954) aussi bien que celle d’Algérie (1954-1962) ayant fait l’objet d’un véritable tabou cinématographique. Il est pourtant des liens étroits entre l’Indochine française, cette colonie initiée par Napoléon III qui réunira le Laos, le Cambodge puis l’actuel Vietnam, et l’engagement militaire des Yankees au mitan des années 1950. Francis Ford Coppola le rappelait subtilement en intégrant à la version « final cut » d’Apocalypse Now (2019) une séquence faisant place à cette ancienne présence française. La guerre du Vietnam serait ainsi une conséquence de la débâcle à Diên Biên PhÚ.
Qu’en est-il cependant de « l’après Vietnam », une fois délivré du contingent militaire américain ? Et
qu’en est-il de la production cinématographique asiatique à ce sujet ? Au-delà du fait que ce soit une femme qui ait réalisé Boat People (1982), il s’agit de l’un des rares long-métrages à traiter de ce pays en temps de paix. Même si pour apprécier pleinement ce film, il aurait fallu lui accoler ses deux autres volets (The Boy from Vietnam, 1978 ; The Story of Woo Viet, 1983) – puisque c’est une trilogie qu’a réalisée la cinéaste Ann Hui. Presque une inconnue en Occident, l’artiste hongkongaise née en 1947 est une célébrité en Asie, où quasiment chacune de ses réalisations a obtenu une prestigieuse distinction. Formée à la London International School, Ann Hui a entamé sa carrière à la télévision avant de poursuivre au cinéma avec un thriller en guise de premier opus (The Secret, 1979). Dans Boat People, qui est programmé cette semaine à la Cinémathèque de Luxembourg, le spectateur a pour guide un photographe japonais, Shiomi Akutagawa, qui a marqué l’opinion publique avec ses clichés pris lors de la guerre du Vietnam. Trois années après la fin des hostilités, celui-ci est de retour au pays, bénéficiant d’un visa exceptionnel en tant que partisan de la révolution. Comme cela était alors de coutume, les autorités organisent pour lui un séjour officiel et parfaitement encadré. Mais en se rapprochant de la population, Akutagawa prend conscience de la carte postale que lui tendait la propagande socialiste. Et découvre la part cachée du régime de Hô Chi Minh, entre les bidonvilles où des familles entières crèvent de faim et les Zones économiques nouvelles (ZEN) où de la main-d’œuvre gratuite est envoyée de force. Sous cet acronyme se cachent, à l’instar du Goulag en Russie, de véritables camps de travail : les plus « chanceux » vaquent à des activités agricoles, quand les autres ont la tâche délicate de déminer à mains nues des champs remplis de mines antipersonnel. Les civils sont par ailleurs constamment surveillés par la police, et des exécutions sommaires viennent ponctuer leur quotidien. Des hommes sont enlevés dans la rue ; la corruption sévit à chaque échelon du pouvoir politique. À voir la façon dont le communisme fut appliqué au Vietnam, on en vient (presque) à regretter que les USA n’aient pas gagné la guerre...
Outre ces aspects politiques, le long-métrage de Ann Hui permet de comprendre les raisons ayant conduit à la constitution des boat people, lorsque des familles entières embarquent dans des bateaux de fortune pour fuir la brutalité du régime. Et l’on songe à celles et ceux qui fuyaient hier le régime syrien, comme à ceux qui fuiront Kaboul ces prochaines semaines. Les lendemains déchantent.