Musique live

De la Chrysalide au papillon

d'Lëtzebuerger Land du 07.02.2020

Si la recette de fabrication d’un grand violoniste n’est pas immuable, elle repose sur des jalons incontournables. Ces étapes, le violoniste canadien Timothy Chooi, né le 17 décembre 1993 à Victoria, en Colombie-Britannique, dans une famille non-musicienne devenue mélomane presque par la force des choses, les a franchies tout naturellement, les unes après les autres. À trois ans, il commence le violon. À sept, il joue en soliste, auprès de son frère aîné Nikki, également violoniste alors âgé de douze ans, le Double concerto de Bach avec le Victoria Orchestra. Puis, au rythme d’un travail serein mais acharné, c’est l’entrée à la prestigieuse Juilliard School de New York, où il enseigne désormais, tout en continuant à suivre les précieux conseils, chaque deux semaines, de sa mentor et coach, la violoniste Catherine Cho, elle-même lauréate du concours Reine Elisabeth en 1999. « Elle ne m’apprend pas seulement à me perfectionner au violon, mais aussi à faire des choix stratégiques pour ma carrière et à équilibrer ma vie, car la qualité de mon travail à l’instrument dépend aussi ma votre vie en dehors de l’instrument ». Dernière étape de cette éclosion, qui tient de celle de la chrysalide et du papillon : le temps difficile et périlleux des grands concours internationaux qui permettent au violoniste prodige de se distinguer de ses pairs. Une fois dûment « estampillé » par un jury d’une exigence extrême, les portes du sérail du monde de la musique classique s’ouvrent en grand et le violoniste peut déployer ses ailes.

Pour Timothy Chooi, cette étape des concours (« It’s finishes, I am dead ! ») est franchie plus que brillamment, avec à son palmarès, quelques-unes des plus hautes récompenses : Hanovre en Allemagne,
Verbier en Suisse (Joseph Joachim), Nouvelle-Zélande (Michael-Hill), Montréal, et surtout : Le Reine Elisabeth. Sur les traces de son frère, lauréat de ce même concours en 2005, il joue en finale du prestigieux concours belge, le Concerto pour violon n° 5 de Mozart, qu’il vient de donner au Cape d’Ettelbruck le 6 février avec l’Orchestre de Chambre du Luxembourg sous la direction de Corinna Niemeyer, cheffe assistante de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam.

Désormais très sollicité, Timothy Chooi vient d’enchaîner en quelques jours, un véritable marathon au Bozar de Bruxelles avec un concerto de Bach et la Symphonie espagnole de Lalo. Aussi apprécie-t-il de « retourner dans l’univers si spécifique de Mozart ». Sa méthode : réécouter ses propres derniers enregistrements pour repérer ce qu’il souhaite modifier et améliorer. « Jouer Mozart nécessite de traverser des états stylistiques très contrastés entre la virtuosité pure et le lyrisme du mouvement lent, d’une très grande intensité ». Mais « retrouver le son et l’esprit de Mozart » ne s’improvise pas : ainsi, pour les cadences, non écrites par le compositeur, il a pu bénéficier des acquis de la classe de cadence (d’interprétation) de la Juilliard School, surtout fréquentée par les instrumentistes à cordes, où il a patiemment appris à composer ses propres cadences dans le style du compositeur.

Après les cadences de David Oistrakh ou de Yehudi Menuhin, il souhaite, à son tour, marquer le Concerto de Mozart de son empreinte, dans ces mesures offertes à la liberté du violoniste. Jouer le Concerto pour violon de Mozart a aussi permis à Timothy d’expérimenter, pour la première fois à Luxembourg, ce qui s’est tissé en répétitions et le jour du concert, avec l’Orchestre de chambre du Luxembourg et la cheffe d’orchestre Corinna Niemeyer. Les jeunes violonistes du Conservatoire ont pu, quelques heures avant le concert, bénéficier d’une exceptionnelle master class. « Le violon que je joue actuellement, le Stradivarius de 1717 Windsor, est parfait pour jouer Mozart avec un orchestre de chambre, car il a été conçu, à l’époque, pour jouer avec un orchestre de cet effectif ».

Timothy Chooi, au firmament de sa toute jeune carrière, est avide de ces nouvelles rencontres musicales déterminantes qui vont lui permettre de mûrir encore davantage son jeu, par l’échange. Passionné par son récent travail avec Stéphane Denève et le Brussels Philharmonic, ses prochains mois seront dédiés à de nouvelles collaborations intenses avec les grands orchestres internationaux et les chefs d’orchestre d’exception avec lesquels il est désormais invité à jouer.

Timothy Chooi était en concert au Cape d’Ettelbruck le 6 février 2020. (cape.lu)

Dominique Moons-Escande
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