La tapisserie revient en force comme médium artistique. Démonstration sportive chez Zidoun-Bossuyt

Le ballon blanc

d'Lëtzebuerger Land du 24.06.2022

On connaît les passions que déchaînent en Amérique les matchs du championnat de basket de la NBA (National Basketball Association). Noel W. Anderson, nouveau poulain de l’écurie d’artistes noirs américains de la galerie Zidoun-Bossuyt, fait ici, dans une exposition monographique, une démonstration éblouissante du mythe de la « magie » du corps des athlètes noirs, et ce, sur un médium inattendu : la tapisserie.

C’est un médium qui revient sur le devant de la scène artistique dans les galeries et les biennales d’art. On en a vu de nombreuses à Venise et Noel W. Anderson lui-même représente la galerie Zidoun-Bossuyt actuellement à la Biennale de Berlin. Make me come out of myself, le titre de l’exposition, est le contraire de l’expression populaire « Don’t make me come out of myself » – ne me fais pas sortir de mes gonds, ne me provoque pas. Ici, c’est plutôt : tu vas voir ce que tu vas voir. On voit tout d’abord, que ce jeune homme (né à Louiseville, Kentucky en 1981), qui travaille et vit à Harlem, transpose visuellement tout son talent d’affichiste et de sculpteur de manière surprenante sur des tapisseries.

La tapisserie est un support d’expression exceptionnel depuis pas loin de mille ans. Au début du 16e siècle, on y vantait la beauté féminine sur la fameuse tenture Dame à la Licorne (qui aurait aussi un sens éminemment sexuel, son sous-titre étant À mon seul désir), on verra le lien avec les œuvres contemporaines d’Anderson plus loin. Et déjà autour de 1080, les tapisseries rapportaient aussi des faits guerriers. Ainsi, la « Tapisserie de Bayeux », qui raconte la bataille de Hastings pour la conquête du trône d’Angleterre. Dans ce cas, c’est une ode à la force masculine. On voit dans l’exposition une pièce d’Anderson dans les mêmes tons clairs (We’ve Got’em Now ! Now !, 2022).

La pièce maîtresse de Make me come out of myself, accrochée au fond et dans l’axe de la galerie – un terrain de basket dessiné au sol sur le parquet y mène comme à un objet sacré – fait penser à un étendard géant aux couleurs chatoyantes, vert, rouge foncé, proches de la gamme utilisée à la Renaissance. Revenons au temps présent, et c’est comme un écran géant, où la transmission est mauvaise et fait zigzaguer les silhouettes des joueurs et des spectateurs.

Ces corps déformés, on les retrouve dans presque toutes les tapisseries et de minuscules sculptures de performances de démonstration de l’agilité physique des stars du basket (Trick Voltive 1 et 2, 2022). Ici, Anderson (qui est aussi sculpteur), s’est inspiré de figurines de champions de la NBA. Elles sont réalisées ans le même matériau que les ballons de basket. Mais quel est donc son véritable propos ? Anderson est, au-delà de la séduction de l’image, du choix habille des couleurs. Une réponse se trouve au sous-sol de la galerie, où le socle des figurines est le siège du spectateur.

Car dans nombre de tapisseries, nous sommes comme aux jeux du cirque romain : les basketteurs noirs et leur « corps magique » (on appelait bien Earvin Johnson « Magic Johnson ») sont là pour le plaisir, la poussée d’adrénaline et la montée de testostérone des spectateurs majoritairement blancs. Parce que les écrans de retransmissions crépitent aussi par défaillance technique ou pour rendre l’atmosphère électrisante de l’excitation des matchs, Noel Anderson a tiré des fils, dont quelques-uns tiennent, comme des hameçons de pêche, des lettres découpées dans des ballons de basket.

Il faut descendre au sous-sol. Voici les vestiaires des joueurs où les gladiateurs des temps présents sont à tel point divinisés qu’on dirait les sièges du chapitre dans une église. Sous leur portrait, les cris du stade sont écrits ici en toutes lettres, dispersés et à réassembler sur les tapisseries. Mais que fait là, au milieu, ce chien, la gueule ouverte, prêt à mordre ? C’est Chien Blanc. La tapisserie de Noel W. Anderson reproduit la couverture de l’édition originale du roman de Romain Gary écrit en 1969-1970, au paroxysme de la répression policière des mouvements de libération noirs. Cela fait des décennies, on ne disait pas encore Afro-Américains. Les matchs de NBA sont un moment de grâce. Le travail de Anderson aussi.

Make me come out myself de Noel W. Anderson,
est à voir à la galerie Zidoun-Bossuyt,
à Luxembourg-Grund, jusqu’au 23 juillet

Marianne Brausch
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