Un cluster d’artistes

d'Lëtzebuerger Land du 10.06.2022

La Galerie Hervé Bize à Nancy réunit un ensemble d’artistes dans une exposition intitulée Cluster II et conçue en deux volets. Le premier a été montré l’été dernier, au sortir du dernier confinement français. Les deux salles sont spatialisées, comme l’an passé : la salle dite des fresques accueille deux ensembles d’œuvres graphiques (dont celles de Rémi Dall’Aglio) et se déploie au mur et sous vitrine. La seconde salle est consacrée à un ensemble de pièces sur papier dues à des artistes appartenant à des contextes et des horizons différents, jeunes artistes mais aussi approches considérées aujourd’hui comme historiques. Revue de motifs avec le galeriste Hervé Bize.

Depuis l’année 2020 marquée par la pandémie et ponctuée par l’actualité médicale, le « cluster », vêtu d’une triste mode, a fini par nous sembler familier. Il désignait ce regroupement de patients atteints du Covid-19 qui, contamination oblige, était susceptible de menacer tout un chacun et de troubler notre vivre-ensemble. Hervé Bize s’échappe du contrôle hygiéniste et choisit de revenir à son origine. Le titre de l’exposition, un anglicisme, s’affiche donc dès l’entrée du lieu d’exposition non sans rappeler Joseph Kosuth et ses One and Three Chairs. Le « cluster » est bien le groupement (d’un petit nombre d’objets) en didactique et une résonance de plusieurs notes jouées simultanément en musique. Suite.

De là découle une belle proposition plastique : dessins de regards qui se penchent sur le spectateur, l’envisagent dans toute sa complexité, l’étrangéifient. Des yeux flous ou des yeux comme des poignards. Parfois un visage. À demi-caché, le regard légèrement de biais, les lèvres qui luisent comme illuminées, le cou fixe et droit. La contrainte lasse de la bouche qui ne se force pas à sourire. Les œuvres de l’artiste américaine Larissa De Jesús Negrón, Prayer could help you now (2021) et A ojo visor (2021) voisinent, volontairement, avec des œuvres plus anciennes sans qu’on ne puisse pour autant les détacher les unes des autres. Une huile sur papier d’André Masson, Soleil rouge (1950), achetée par le célèbre marchand Kahnweiler, y croise l’Étoile du jour (Identités sidérales), 2006-2010 de Rémi Dall’Aglio. « Des œuvres graphiques qui questionnent le rapport des artistes avec le dessin », pour Hervé Bize. Une seconde salle aux murs blancs et à l’espace sobre où « les œuvres n’ont pas à lutter contre un décor d’architecture », remarque le galeriste. Ou alors l’intègrent.

Comme dans Hate to feel (2004) de Gabriel Vormstein. La gouache et l’aquarelle s’invitent sur du papier journal. Des lignes, en pointillés, travaillent la surface centrale. On peut, comme pour les dessins, s’en approcher, s’y pencher, tenter d’en décrypter les phrases jetées ça et là. Saisir les mots arrimés au papier journal. Se disculper de ne pas tout comprendre. S’en accommoder car, au fond, chacun est libre de son « interprétation » comme le rappelle le galeriste. Une invitation à voir autrement. D’autres projets sont en cours pour la galerie, sise à deux pas de la superbe Place Stanislas, l’écrin nancéien.

Cette exposition fait également écho à d’autres projets en cours, notamment la parution prochaine d’un livre de poèmes de Hervé Bize, avec Delia Brown et Marco Godinho (aux éditions Luar) ainsi que la participation, cet automne à Paris, d’Alexandra Sand à l’exposition du centenaire de la Vénus de Lespugue au musée de l’Homme, dans le cadre de laquelle la quasi-intégralité de son exposition personnelle en 2019 à la galerie sera réinstallée. Des clusters comme un reflet hors du temps l’art revient.

L’exposition Cluster II est à voir à la galerie Hervé Bize à Nancy, jusqu’au 13 juillet
Florence Lhote
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