Architecture

L’art pour le peuple

d'Lëtzebuerger Land du 19.04.2019

Le Luca (Luxembourg centre for architecture), présente actuellement une double exposition : une partie est co-produite avec le Mudam dans le cadre de la rétrospective consacrée à Bert Theis (1952-1996, cf. d’Land du 5 avril 2019). L’autre partie de l’exposition est consacrée à deux ensembles résidentiels construits, Red and Blue, datant de 1978 à Rijeka (Croatie) dont l’auteur est l’architecte Ninoslav Kučan (1927-1994).

On verra au Luca la reconstitution du « bureau  » de OUT (Office for urban transformation), qui résume l’histoire de la résistance urbaine que l’artiste activiste Bert Theis mena de manière participative sur le devenir urbain de la friche milanaise des ateliers industriels Stecca. Et par ailleurs donc, un ensemble d’habitations construit par un professionnel du métier de l’architecture, Ninoslav Kučan, sous l’ère socialiste de l’ex-Yougoslavie qui voulait, pour preuve de la justesse d’une idéologie, imposer le « vivre ensemble ».

Qu’ont en commun l’activisme milanais de l’artiste Bert Theis sur son terrain de résistance à l’urbanisme capitaliste (capitalisation du terrain et gentrification d’un ancien quartier ouvrier) et deux ensembles Red and Blue construits pour de vrai par Kučan à Rijeka (actuelle Croatie) ? Ce qui réunit les deux démarches, c’est le terme « communisme » à entendre au sens de commun, dont on connaît actuellement deux versions très en vogue : l’élaboration ensemble entre professionnels et futurs habitants, appelée participative et menée aussi au Luxembourg dans le domaine de l’habitat, notamment par le Fonds Kirchberg pour les nouveaux quartiers d’habitation.

Deuxièmement, la recherche de la meilleure version possible de l’espace public. Certes, il peut s’agir de jardins communautaires (notion menée activement dans les grandes villes par des citadins assoiffés de contact avec la terre, la nature, les joies du jardinage et surtout de partage). En ce sens, la démarche d’Isola Pepe Verde de Bert Theis à Milan a été avant-gardiste. On sait que la municipalité l’a finalement remporté, construisant, à la place des ateliers Stecca détruits le Bosco Verticale, aux terrasses individuelles verdoyantes (Stefano Boeri, architecte) pour citadins bobo. C’est presque caricatural.

Le cas des parties communes des ensembles d’habitation Red and Blue de Ninoslav Kučan est plus complexe, comme le montre la partie de l’exposition au Luca, Free Space. Le fait qu’il s’agisse, à Rijeka, d’une « utopie communiste » de l’ex-Yougoslavie, n’a en soi pas d’importance : des expériences semblables ont été menées et réalisées dans les années 1970 beaucoup en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas, dans une moindre mesure en France.

En fait, tout dépend du devenir social de ces quartiers, de leurs espaces extérieurs effectivement conçus pour tous. Seront-ils réhabilités et le vivre-ensemble renaîtra. La mixité sociale pour une utopie concrète est un enjeu crucial, l’inverse de la ghettoïsation menée par des municipalités inconscientes de la valeur architecturale de ces lieux.

On pourra aller vérifier cela sur place très bientôt : Rijeka (Croatie), sera Capitale européenne de la Culture en 2020 ! Et on visitera bien-sûr l’exposition au Luca et l’ensemble de la rétrospective Bert Theis en attendant ici à Luxembourg.

Free Space, A case study of Red and Blue in Rijeka, Croatia, est à voir au Luca jusqu’au 26 avril prochain. Bert Theis OUT (Office for Urban Transformation) dure jusqu’au 26 juillet prochain. 1, rue de l’Aciérie à Luxembourg-Hollerich. www.luca.lu

Marianne Brausch
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