Auberges de jeunesse et hôtels

Hospitalité en ligne

d'Lëtzebuerger Land du 07.04.2011

L’idée de faire une croix sur les auberges de jeunesse et les hôtels et de miser plutôt sur l’hospitalité d’inconnus ne date pas d’hier. Servas, un service voué à la mise en contact de personnes désireuses de recevoir des hôtes de passage et des voyageurs intéressés par leurs offres, a vu le jour en 1949 et a même été reconnu par les Nations Unies. Mais l’avènement du web a donné un fameux coup d’accélérateur à ce concept. Couchsurfing (www.couchsurfing.org), créé en 2004 par un consultant web américain, Casey Fenton, est aujourd’hui le plus en vogue de ces services. Alors qu’il séjournait pour quelques jours à Reykyavik après avoir acheté un vol bon marché, Fenton n’avait pas trop envie d’aller moisir dans un hôtel de la ville et a eu l’idée de « spammer » une centaine d’étudiants islandais, leur demandant s’ils n’avaient pas envie de recevoir un touriste américain chez eux et de lui faire visiter leur ville.

À son retour aux États-Unis, ni une ni deux, Fenton créa un site consacré aux séjours chez l’habitant et à la passion des voyages. Aujourd’hui, Couchsurfing compte 2,67 millions de membres, dont un bon million actifs, et affiche fièrement ses impressionnantes statistiques sur sa page d’accueil : plus de trois millions d’accueils réussis, autant d’amitiés créées, un total de cinq millions d’ « expériences positives », 246 pays et près de 80 000 villes représentés.

Les beaux discours sur l’hospitalité, le respect et la tolérance égrenés sur un site n’étant en rien une garantie contre les mauvaises expériences lorsqu’on répond à une petite annonce sur Couchsurfing, le site a mis en place un système de notation comparable à celui qui existe pour les acheteurs et les vendeurs sur E-Bay, qui permet d’identifier ceux qui ne jouent pas le jeu. Ce système ne met pas à l’abri des mauvaises surprises, comme le reconnaît Sarah, une étudiante qui a décidé de mettre le canapé de son appartement berlinois à disposition d’utilisateurs de Couchsurfing. « C’est un peu une loterie », dit-elle. Mais, après avoir reçu par deux fois des voyageurs, l’un israélien, l’autre un groupe de trois étudiants russes et ukrainien, elle est plutôt satisfaite. Au-delà des rencontres avec les personnes qu’elle a hébergées, ce dont elle se félicite le plus, ce sont les personnes qu’elle a rencontrées lorsque son hôte israélien a organisé un dîner consacré à la nourriture du Proche-Orient : cela lui a permis de se faire dans sa ville d’adoption un cercle d’amis très apprécié.

À titre de précaution, Couchsurfing recommande aussi aux utilisateurs du service de toujours réserver un hôtel le premier soir, afin d’avoir une position de repli si l’affaire tourne mal pour une raison ou une autre. L’invitant et l’invité sont censés s’entendre par avance sur la durée du séjour, quelques jours en général. Rien n’oblige les participants à indiquer leur vrai nom ou leur adresse.

À lire les témoignages sur couchsurfing.org, c’est en tout cas l’enthousiasme qui l’emporte. Il arrive assez souvent qu’une expérience positive débouche sur une visite en retour. Dans les explications sur la mission que se donne le site, c’est un véritable projet sociétal qui est proposé : « Si nous sommes suffisamment nombreux à vivre ce type d’expérience, nous commencerons peut-être à voir un monde dans lequel les gens se sentiront plus liés les uns aux autres, malgré leurs différences. Ces liens nous permettent de comprendre la diversité et de construire une communauté globale en quête d’harmonie quand, inévitablement, des conflits surviennent ». En occupant le canapé et en partageant le petit-déjeuner d’un étranger plein de bonne volonté pendant quelques jours, et inversement en recevant un étranger ouvert sur le monde, les utilisateurs de Couchsurfing font de fait naître une forme d’hospitalité à haute teneur d’utopie.

Jean Lasar
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