Il a fait se côtoyer Chagall et Knoebel à la cathédrale : l’atelier Simon-Marq remonte à 1640, sauvé de justesse, il a trouvé refuge à l’Église du Sacré-Cœur, rue Ernest-Renan

Artisans de luminance

d'Lëtzebuerger Land du 17.06.2022

Les écrivains sont innombrables, et tous plus ou moins inspirés, pour célébrer les vitraux des cathédrales gothiques, les rais de soleil qui les parcourent, projetant leurs formes et leurs couleurs sur les pierres. À l’entrée de celle de Reims, c’est un peu comme si le sourire narquois de l’ange s’amusait d’avance du ravissement des visiteurs. Et il ne viendra pas seulement des anciens vitraux, de leurs couleurs de toute fraîcheur, du message religieux qu’ils transmettent. Depuis les années 1960-70, à l’exemple de Matisse à Vence, cet art s’est mis à l’heure des créateurs contemporains. À Reims, Brigitte Simon, de la famille des verriers, a amorcé le mouvement, avec des motifs abstraits, suivie par Marc Chagall et sa lecture des saintes écritures. C’est le même atelier Simon-Marq qui a produit les vitraux de Chagall à la cathédrale de Metz.

À Reims, les chapelles attenantes, du Sacré-Cœur et de Saint-Joseph, en verre clair, premier affront au 18e siècle, pour mieux éclairer, avant les destructions de la première guerre mondiale, contrastaient trop avec Chagall et ses images. Il y fut remédié, dès 2011, avec l’abstraction jubilatoire d’Imi Knoebel, inspirée de ses Messerschnitte, découpages au couteau. Ces premiers vitraux de l’artiste allemand furent réduits aux couleurs primaires, bleu, rouge et jaune, mais dans des tonalités arrivant à neuf, le blanc en plus : le chatoiement, sinon l’éclat des couleurs, et la profusion des formes pour fendre les ténèbres. Imi Knoebel avait prévu jusqu’à mille pièces de verre par mètre carré, les compagnons de l’atelier Simon-Marq l’ont convaincu de la nécessité d’en ramener le nombre à quatre ou cinq cent.

Et comme si l’artiste avait été définitivement pris, sous l’emprise de cette aventure, sa toute première réalisation, il poursuivait les recherches, les expérimentations. En 2015, avec le concours de la Kunststiftung Nordrhein-Westfalen, trois nouveaux vitraux furent installés, à la chapelle Jeanne d’Arc, toujours des aplats croisés et superposés, cette fois-ci, les payeurs furent allemands, provenant de l’atelier Derix, au Taunusstein : une plus grande diversité de formes, un spectre élargi aux couleurs complémentaires, les vert, orange, violet, avec comme ultime défi le rose, 27 tonalités en tout.

Bien sûr, des esprits irrémédiablement attachés au passé ont vu d’un mauvais œil ces innovations. L’attitude de l’archevêché n’en a été que plus appréciable. Et quand l’atelier Simon-Marq, face au danger de disparaître en 2019, sauvé par des entrepreneurs champenois, cherchait où s’établir de nouveau, un édifice religieux s’offrit, délaissé depuis de nombreuses années : l’église du Sacré-Cœur, dans le quartier Clairmarais de Reims, bâtiment tout en béton inauguré en 1959. Comme quoi, on fit coup double, et même put envisager en plus de la location à l’atelier, la création, plus tard, d’un musée du vitrail (seule condition, la préservation de l’autel, il allait de soi sauvegarder les vitraux de Charles Marq).

Une récente visite d’un groupe des Amitiés françaises a permis d’explorer les lieux, à commencer par la vaste salle du niveau principal, comme si elle était toujours prête aux célébrations religieuses. L’atelier Simon-Marq occupe l’étage de soubassement, où les anciennes salles de catéchisme par exemple ont été transformées en locaux de production. D’un côté du couloir, les archives, avec toutes les feuilles soufflées à la bouche ; et la surprise, tout en haut d’un étalage, d’une boîte en carton où l’on peut lire un mot et un nom, dedans on trouverait des chutes des verres de Knoebel. De l’autre côté, les tables, les pupitres, pour la restauration des vitraux anciens (les propriétaires, souvent des communes, les déposent, et au fur et à mesure de leurs moyens, les font réparer) ou la création de nouvelles œuvres. Au fond, contre la lumière du jour, tant et tant de palettes, de plus de mille couleurs différentes.

De quoi s’abandonner à pareille polychromie, de quoi être plus admiratifs après avoir appris les moments multiples de la fabrication. Allant de la maquette au carton grandeur nature, au calibre pour la forme exacte de chaque verre, au dessin de la mise en plomb pour calculer son épaisseur qui de façon inattendue, mais bien réelle et signifiante, s’appelle l’âme. Celle-là restera grise, on ne lui demande qu’à assurer la solidité du vitrail ; la nôtre, elle, sera tout illuminée par le travail, après l’invention de l’artiste, de ces artisans de luminance.

Lucien Kayser
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