Cinémasteak

Miami-New York

d'Lëtzebuerger Land du 21.04.2023

Il est des films qui font partie de la légende hollywoodienne, tel It Happened One Night (1934), de Frank Capra. Ce long-métrage réalisé avec relativement peu de moyens financiers repose sur une trame narrative réduite à l’essentiel mais cependant très efficace : un homme et une femme que tout oppose sont amenés à cohabiter ensemble lors d’un voyage en bus au long cours. L’anecdote semble bien maigre sur le papier (si bien que Robert Montgomery, initialement pressenti pour le premier rôle masculin, refusa d’y prendre part), mais c’est oublier ce qu’un bon cinéaste et d’excellents comédiens peuvent apporter grâce à la conjonction de leurs talents. Le comble, c’est que les deux acteurs principaux d’It Happened One Night auront eux-mêmes été contraints de jouer ensemble : Clark Gable est alors mis à la disposition de la Columbia par la MGM, tandis que Claudette Colbert l’est également par la Paramount. Une collaboration forcée peut donc avoir dans certain cas des effets vertueux, puisque Gable et Colbert seront tous deux sacrés meilleurs acteurs lors de la cérémonie des Oscars de 1935. Dans son ensemble, le film cartonne, raflant de nombreuses récompenses à cette occasion (lauréat du meilleur film, du meilleur scénario, du meilleur réalisateur).

Après un désaccord au sujet de son futur mari, l’indolente Ellen Andrews (Claudette Colbert) parvient à échapper à la surveillance de son père millionnaire et part rejoindre précipitamment son fiancé. Au cours de ce trajet en bus reliant Miami à New York, la riche héritière fait la rencontre d’un autre homme, quelque peu alcoolisé et à la dérive, en la personne de Peter Warne (Clark Gable), jeune reporter qui vient de tout plaquer professionnellement et dont la jeune fille finit par s’éprendre… D’autant plus que celui-ci n’hésite pas à lui dire ses quatre vérités : « J’ai tout de suite compris qui vous étiez. Une fille à papa gâtée. Vous croyez pouvoir tout acheter. L’humilité, vous connaissez ? Sûrement pas. Votre argent ne m’intéresse pas. Vous et votre père, vous n’êtes pour moi que du menu fretin. » C’est là, pour le cinéma hollywoodien, une façon de répondre aux aspirations démocratiques de l’époque, que l’on retrouvera plus tard dans An Affair to Remember (1957) de Leo McCarey ou encore Funny Face (1957) de Stanley Donen. Soit deux personnes issues de milieux sociaux différents qu’une situation commune va rapprocher. Ce qui répond aussi à la sensibilité populaire et humaniste de Capra, citoyen américain issu de l’immigration sicilienne. Le film relève tout à la fois de la fable initiatique (une fille de riche parmi les prolos), de la critique acerbe du capitalisme, et de la comédie de remariage.

Outre les merveilleux seconds rôles qui s’illustrent à chaque trajet, de celui qui s’affale en plein sommeil sur la jeune fille à celui qui tente de la draguer, il y a cette séquence devenue célèbre, où l’on apprend qu’une « une jambe vaut mieux qu’un pouce » pour espérer être pris rapidement en auto-stop… Ou encore cette corde à linge faisant office de « mur de Jericho », qui marque à lui-seul la séparation de classes à laquelle Capra répond en unissant les coeurs. Miracle de l’amour, comme un ultime revers aux déterminismes socio-économiques.

It Happened One Night (USA, 1934, vostFR, 105’) est présenté mardi 25 avril à 20h30
à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg

Loïc Millot
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