Le gouvernement portugais augmente le smic de cinquante euros par mois. C’est trop peu pour la partie de la population la plus fragile

Entre espoir et incertitudes

d'Lëtzebuerger Land du 13.12.2024

« J’ai fait l’aller-retour entre Figueira da Foz et Lisbonne le 10 novembre. Je devais être là pour exprimer ma frustration », raconte Dina, 47 ans. L’année dernière, faute de perspectives professionnelles, elle a quitté Lisbonne pour retourner vivre chez son père à presque 200 kilomètres de la capitale.

« J’ai perdu mon emploi dans la restauration, puis j’ai suivi des formations en informatique. J’ai appris à programmer et à créer du contenu pour le web, mais aucun emploi ne me permettait de rester vivre à Lisbonne ». Avec un salaire minimum à 870 euros, Dina doute que sa situation change radicalement. « Même avec cette augmentation, comment pourrais-je payer un loyer à Lisbonne ? ».

À l’origine de la mobilisation du 10 novembre dans les grandes villes portugaises : l’accord de concertation sociale. Le document paraphé par les partenaires sociaux à l’exception de la confédération syndicale CGTP, proche du parti communiste, prévoit des hausses du salaire minimum de 50 euros chaque année, en vue d’atteindre en 2028 les 1 020 euros mensuels, sur quatorze mois. L’accord inclut par ailleurs un engagement de la part du gouvernement de droite modérée, arrivé au pouvoir en mars dernier, visant à réduire la taxation sur les profits des entreprises et sur les revenus des jeunes jusqu’à 35 ans.

Des inégalités persistantes

Alors que le Portugal affiche une croissance économique modérée, les pressions liées à l’inflation, à la hausse des coûts du logement et aux failles structurelles du marché de l’emploi pèsent lourdement sur les travailleurs à faible revenu. L’augmentation du salaire minimum est censée améliorer les conditions de vie des travailleurs modestes, mais son impact reste limité. Avec un taux d’inflation de 3,6 pour cent prévu pour 2024, les prix continuent d’éroder le pouvoir d’achat, notamment dans les secteurs essentiels comme l’alimentation et l’énergie. Le panier moyen de consommation a augmenté de 5,2 pour cent en 2023, et certains produits de base, comme le lait ou l’huile d’olive, ont vu leur prix grimper de plus de vingt pour cent. Cette réalité économique se traduit par des choix difficiles pour des centaines de milliers de Portugais.

Tiago Oliveira, secrétaire général de la Confederação Geral dos Trabalhadores Portugueses (CGTP), a profité des manifestations contre la vie chère pour souligner : « Les cinquante euros supplémentaires ne permettront pas aux travailleurs de faire face à la hausse des prix de l’énergie ou de l’alimentation ». La CGTP demande une augmentation d’au moins quinze pour cent pour tous les travailleurs à partir de janvier et un salaire minimum de mille euros sur quatorze mois, estimant que ces mesures seraient les seules à réellement améliorer la vie des familles les plus vulnérables.

La hausse des salaires représente également un défi pour les petites et moyennes entreprises (PME), qui constituent l’épine dorsale de l’économie portugaise. Dans l’hôtellerie, la restauration et le commerce, où les marges sont faibles, cette augmentation risque de provoquer des suppressions d’emplois ou des baisses d’heures travaillées. Par exemple, à Faro, plusieurs petites entreprises ont signalé des licenciements en prévision de la hausse des salaires, selon une enquête du quotidien Diário de Notícias.

Pour Joaquim Ribeiro, président de l’Associação da Hotelaria e Restauração, « cette augmentation est louable, mais elle arrive à un moment où les entreprises souffrent déjà des effets de l’inflation et d’une reprise économique inégale après la pandémie ».

« Le coût de la vie ne cesse d’augmenter »

Fernando, 38 ans, est travailleur indépendant et père d’un petit garçon de huit mois. « Pour subvenir aux besoins de ma famille, je cumule plusieurs emplois ». Après avoir passé trente ans au Luxembourg, il a choisi, il y a deux ans, de rentrer au Portugal. « Je ne vais pas vous dire que tout est plus simple ici. En tant qu’indépendant, je suis obligé d’accepter les petits boulots pour joindre les deux bouts. Alors s’il y a des semaines où il faut enchaîner sept jours d’affilée de travail, je le fais pour m’en sortir », témoigne-t-il. « En tant qu’indépendant, je gagne en moyenne 1 500 euros par mois, mais avec les coûts de l’essence, le loyer, les impôts et la cotisation à la Sécurité sociale, il me reste moins de 500 euros pour vivre. Si les prix augmentent encore, ce sera intenable ».

À l’approche de l’hiver, alors que les opportunités de travail se font plus rares, il réfléchit à la façon dont il va traverser cette période. « J’ai un plan B, un plan C et même un plan D. Quoi qu’il arrive, je sais que je vais moins travailler et que je vais gagner moins ces trois prochains mois », confie-t-il. « Ma crainte, c’est de voir encore le coût de la vie augmenter. À peine le gouvernement avait-il annoncé une hausse du salaire minimum que les prix au restaurant et dans les boulangeries, par exemple, avaient déjà augmenté. Si les salaires progressent mais que tout devient encore plus cher, à quoi bon ? », s’interroge Fernando.

Sans attendre la hausse effective du salaire minimum, certains commerces ont en effet, dès l’annonce faite, appliquer une « hausse préventive de leurs tarifs. C’est vrai pour le prix d’un café mais également pour certains matériaux de construction comme le carrelage. Dans un contexte où l’inflation domestique devrait flirter avec les quatre pour cent cette année, chacun essaie, à sa manière, de ne pas trop perdre en pouvoir d’achat.

Des disparités régionales amplifiées

Les travailleurs, qu’ils soient en ville ou dans les campagnes, se retrouvent confrontés à des obstacles similaires, bien que sous des formes différentes. Les disparités régionales au Portugal accentuent les difficultés. Si Lisbonne et Porto concentrent une grande partie de la richesse nationale, les régions rurales, notamment dans le nord et l’intérieur du pays, sont confrontées à une désertification économique et démographique.

« La situation n’est guère plus enviable à la campagne. J’habite près des rizières, à vingt minutes de Figueira da Foz. En dehors de l’été, il n’y a presque pas de travail », explique Dina. À Bragance, plus au nord encore, le salaire moyen est inférieur de trente pour cent à celui de Lisbonne. Les jeunes quittent les zones rurales pour chercher du travail dans les métropoles, où le coût de la vie est pourtant prohibitif.

Le logement constitue aujourd’hui l’un des principaux obstacles à l’amélioration des conditions de vie au Portugal. Depuis 2015, les loyers à Lisbonne ont grimpé de 90 pour cent, et un un appartement avec deux chambres coûte aujourd’hui plus de 1 200 euros par mois. Dans un contexte où le salaire minimum net plafonne à 730 euros, l’équation semble impossible.

Selon Ricardo Paes Mamede, économiste, « la régulation des loyers et la construction de logements sociaux sont indispensables pour redonner du souffle aux travailleurs précaires ». Le gouvernement a bien tenté de limiter les excès, notamment en plafonnant les loyers pour les contrats renouvelés, mais ces mesures restent marginales face à l’ampleur de la crise.

L’augmentation du salaire minimum marque une étape importante, mais insuffisante, pour répondre aux défis d’un Portugal à plusieurs vitesses. Dina, Fernando et des centaines de milliers de travailleurs en témoignent : sans un investissement massif dans le logement, les transports et l’éducation, les inégalités continueront de se creuser. La question reste ouverte : le gouvernement osera-t-il aller au-delà des mesures symboliques pour engager des réformes structurelles de fond pour changer en profondeur la vie des Portugais restés au pays ?

Patrick Théry
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