Asile

Paysage idyllique

d'Lëtzebuerger Land du 15.07.2004

Le fait que les communes grand-ducales ne sont pas enthousiastes pour accueillir des demandeurs d'asile n'est un mystère pour personne. L'offre du ministère du Logement de subventionner la construction d'hébergements n'a pas fait d'émules, bien au contraire, ce qui montre qu'on ne se bouscule pas au portillon. Et pour décourager les demandeurs d'asile de venir s'installer chez eux, les édiles font même preuve d'une inventivité exemplaire. Le tribunal administratif vient d'annuler le refus systématique de l'administration communale d'Esch-sur-Sûre d'apposer son visa sur l'attestation de quatre demandeurs d'asile. La procédure prévoit qu'ils se présentent une fois par mois auprès de la commune dans laquelle ils sont inscrits pour recevoir ce tampon. Cela leur permet ensuite d'obtenir du ministère de la Justice le prolongement de l'attestation et d'obtenir l'aide sociale à laquelle ils ont droit. Devant les juges, le représentant du bourgmestre Claude Thilges avançait l'argument que celui-ci ne pouvait pas contrôler si ces demandeurs d'asile résidaient effectivement à l'hôtel qui leur avait été attribué par le ministère de la Famille. Qu'il avait demandé deux fois à la police de se rendre sur place pour vérifier s'ils étaient présents - sans succès - mais qu'il ne pouvait pas contrôler le registre de l'hôtelier. Qu'en apposant son tampon à l'aveuglette mois après mois, il risquait donc de commettre un faux en écritures publiques. Il explique aussi que c'est lui qui est responsable de la bonne tenue du registre de la population et comme il ne peut confirmer lui-même que les demandeurs d'asile habitent effectivement à cette adresse, il préfère ne rien avaliser. Seulement, comme les demandeurs d'asile n'ont pas le droit de gagner leur vie en travaillant, ils sont dépendants de l'aide sociale qu'ils reçoivent du gouvernement. Sans visa, pas de prolongation de l'attestation du ministère de la Justice et donc pas d'argent, ce qui les mettait dans une situation de précarité. Leur défenseur, Me François Moyse reproche au bourgmestre de causer un préjudice grave, non seulement à cause de leur situation financière, mais aussi parce que la prolongation du ministère de Justice leur sert de pièce d'identité. Pour l'avocat, les demandeurs d'asile se trouvent donc en situation irrégulière sans en être responsables : «Les requérants ne peuvent pas être tenus en otages entre la commune qui refuse d'apposer son tampon sur leur attestation de demandeur d'asile et le ministère de la Justice qui refuse d'apposer son cachet en cas d'absence de celui de la commune.» Les juges se sont penchés sur les textes législatifs et le commentaire des articles qui souligne que «l'institution du visa communal ne fait qu'entériner une procédure administrative établie» et qu' «il ne s'en dégage pas explicitement si l'objectif du législateur était d'instituer un mécanisme permettant le contrôle du séjour du demandeur d'asile». Le visa communal n'est donc qu'une pure formalité et le fait que des demandeurs d'asile n'occupent pas le logement qui leur est assigné n'a rien d'exceptionnel. Cette procédure sert juste à assurer qu'ils se trouvent régulièrement sur le territoire de la commune, ne serait-ce qu'une fois par mois quand ils se présentent pour obtenir le visa et d'éviter qu'ils ne «disparaissent dans la nature». Les juges sont aussi d'avis que le législateur n'a mandaté la commune «d'aucune obligation ni responsabilité particulières». Le bourgmestre n'a donc pas à contrôler si les demandeurs d'asile répondent à l'appel quand il se présente à leur hôtel. Pour éviter une nouvelle fois l'excès de zèle d'un bourgmestre, le ministre de la Justice Luc Frieden a d'ailleurs prévu de le préciser dans son nouveau projet de loi portant accélération de la procédure d'asile : «L'administration communale du lieu de séjour du demandeur d'asile a l'obligation de viser l'attestation.» Il reste que les brimades ne peuvent pas toutes être évitées par une loi. Le Commissaire européen aux droits de l'homme Alvaro Gil-Robles s'est d'ailleurs penché entre autres sur le traitement accordé aux demandeurs d'asile au Grand-Duché. Après son passage à Luxembourg en février, le gouvernement luxembourgeois n'a pas attendu son rapport pour combler certaines failles. Une des avancées les plus spectaculaires a sans doute été l'abolition des fameux visas d'entrée pour les prostitués-artistes de pays tiers. Le fait qu'au ministère de la Justice, seules quatre personnes étaient chargées de traiter toutes les demandes n'était pas justifiée et le commissaire n'a pas fait valoir l'argument du coût financier : «Le maintien sur le territoire luxembourgeois de demandeurs d'asile pendant des périodes prolongées entraîne également un coût économique et humain non négligeable à la collectivité.» Entre-temps, le ministère a embauché quatre personnes supplémentaires. Alerté par un rapport de la Commission consultative des droits de l'homme sur les expulsions, M. Gil- Robles a insisté sur le fait de ne pas refouler un étranger qui risque dese faire torturer dans son pays d'origine, même s'il a commis des actes illégaux au Luxembourg. On l'a vu, certaines décisions de refoulement ont aussi dû être annulées par les juridictions administratives parce que la situation du pays d'origine avait été jugée «sans danger» un peu trop vite. La situation des demandeurs d'asile déboutés laisse aussi à désirer. Le Luxembourg n'a pas de structures spéciales pour les héberger avant leur refoulement. Ils sont donc envoyés à la section spéciale pour étrangers au centre pénitentiaire de Schrassig. Mais le manque d'activités et l'oisiveté sont pesants. Certains passent pratiquement des jours entiers enfermés dans leur cellule. Le gouvernement compte engager quinze nouveaux gardiens de prison. Reste à savoir combien pourront être affectés à cette section, vu le manque chronique de personnel au centre pénitentiaire. S'y ajoutent des barrières administratives pour les visites de l'extérieur : les membres de la famille n'ont d'accès qu'après quatre jours, les ONG doivent attendre dix jours avant de voir les personnes mises à la disposition du gouvernement. Même si le ministre de la Justice envisage de raccourcir ces délais, le commissaire aux droits de l'homme propose de les limiter à deux jours ou même de les supprimer carrément pour améliorer les conditions de rétention des personnes déboutées. Surtout qu' «une grande partie des reconduites à la frontière se font avant l'expiration de ce délai, ce qui prive de facto la personne expulsée de pouvoir voir ses proches ou d'être conseillée par une ONG sur ses droits.» Le déroulement de la procédure d'éloignement est aussi épinglée par le manque de prévisibilité et de transparence de la procédure. Alvaro Gil-Robles est étonné de ce que «des personnes n'étant pas en mesure de quitter le territoire (absence de documents de voyage, procédure judiciaire toujours pendante) aient reçu une invitation à le faire ; alors que d'un autre côté certains éloignements forcés sont entrepris sans notification préalable.» Un autre aspect sont les mauvais traitements infligés par les forces de l'ordre pour maîtriser les personnes en éloignement qui voudraient s'y opposer comme l'obstruction des voies respiratoires et l'utilisation de gaz asphyxiants ou incapacitants. Le commissaire se joint à la recommandation formulée par la Commission d'interdire de tels agissements et d'autoriser un membre d'un organisme humanitaire à assister à l'éloignement et veiller au respect des droits fondamentaux des personnes, à l'instar d'autres États. Jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas réagi à ces propositions. Entre-temps, les «retours volontaires imposés» ont repris. Samedi dernier, 45 réfugiés monténégrins sont retournés dans leur pays, une semaine avant la fin des vacances scolaires. Ils ont certes reçu une enveloppe par le gouvernement comme incitant, mais là non plus, la situation n'est pas claire ni sur le montant, ni sur les possibilités des demandeurs d'asile déboutés de faire appel sans perdre le droit à recevoir cette somme. Le commissaire aux droits de l'homme propose de clarifier la chose. Les membres de la nouvelle coalition ont eux aussi planché sur la question de la politique d'asile au Luxembourg sans pour autant avoir trouvé de recette miracle. Les deux partenaires CSV et LSAP reprendront les discussions sur le sujet, mais on ne peut s'attendre à de grands changements, car ils ont d'ores et déjà déclaré ne pas avoir de dissensions sur les grandes lignes.

anne heniqui
© 2024 d’Lëtzebuerger Land