Frisoni, Claude: Ça va mieux en le disant

Frisoni re-commente l’actualité

d'Lëtzebuerger Land du 18.12.2008

« Claude Frisoni n’est pas sérieux », lit-on dans la préface du nouveau livre de ce dernier, Ça va mieux en le disant, un petit livre jaune qui rassemble les textes de la chronique du même titre et du même auteur publiés chaque semaine dans l’hebdomadaire Le Jeudi. Cependant, au fur et à mesure de la lecture, on en vient à rectifier cette affirmation. Claude Frisoni est parfois frivole, folâtre, mais il peut tout aussi bien être grave, sérieux. Et c’est surtout cela la force de ce livre : la rhétorique. Il s’agit moins ici d’établir Frisoni en tant que grand orateur que de mettre en avant une certaine maîtrise, une dextérité pourrait-on dire, dans son écriture. Là où il rejoint les orateurs, c’est dans la recherche de la phrase qui frappe comme une arme. Qui tue.

L’auteur dispose d’un grand vocabulaire et sait user de tous les mots (des plus nobles jusqu’aux sordidissimes) que lui offre un champ lexical. La variation des tons ajoute ainsi largement au ludisme des textes. La plus grande vulgarité côtoie un ton plus posé. Un des meilleurs exemples est un commentaire sur la démocratie : « Une des spécificités de cet étrange système, c’est qu’on peut voter et que si la moitié plus un des électeurs fait un choix, la moitié moins un doit l’accepter. Condition sine qua non, la moitié plus un ne doit pas avoir triché pour obtenir son résultat. Parfois elle le fait. Alors le truc dont je vous rebats les oreilles ne s’appelle plus la démocratie mais la baisade de gueule (ça n’est pas vulgaire, c’est le nom scientifique). »

Évidemment ses figures de style préférées sont l’antanaclase (répétition d’un terme dans deux sens différents : ainsi dans un texte sur les fleurs, ce même mot désigne bien évidemment à la fois ce que les hommes offrent aux femmes pour leur plaire et ce qu’ils cherchent à leur ravir) et l’homophonie (le Tsar Kozy, par exemple). S’en suivent des jeux de mots la plupart du temps hilarants, mais parfois aussi un peu désolants et enfantins, comme dans ce petit texte où il s’autocommente : « […] il faut bien constater avec consternation qu’on pourrait traduire ‘je faisais ma prière’ par ‘ich tat meine Bitte’. C’est lamentable ! »

Et c’est sur cette base (à savoir, les jeux de mots) que l’auteur prend d’assaut un certain nombre de thématiques : la religion, l’économie, la politique, les valeurs. Il commente l’actualité. Une actualité qui, et c’est là le problème, a déjà été commentée une myriade de fois. On y trouve donc tout aussi bien son apitoiement feint pour les golden boys de chez Lehman Brothers, sa stupéfaction devant la mégalomanie sans fin du Président de la République française, que son indignation devant cette histoire du mariage annulé (en France) parce qu’il s’était avéré que l’épouse n’était plus vierge. Ce dernier texte, qui parle de la désillusion des femmes, est un des meilleurs du livre. D’ailleurs, on a l’impression que c’est à chaque fois que Claude Frisoni s’attaque à un fait divers (au lieu d’un grand sujet d’actualité) qu’il montre le mieux l’insupportable bêtise de ce monde.

Ceux qui connaissent l’auteur savent qu’il adore se mettre en scène, et ce petit livre peut tout aussi bien être considéré comme une espèce de one man show. Claude Frisoni adore revenir sur ce qu’il écrit, commenter la structure de ses phrases, la tournure de ses expressions : « plus hypocrite comme expression tu meurs » écrit-il, par exemple, lorsqu’il utilise « arrachés à l’affection des leurs » pour dire mourir. Il suffit de lire le très réussi « Avant-propos » dans lequel il peine à trouver la formule adéquate pour s’adresser à ses lecteurs. C’est jouissif (à l’exception du passage où il s’attaque, de façon cependant assez amusante, à une certaine nouvelle littérature aux phrases qui n’en finissent pas… à laquelle on s’est déjà attaqué en 1956 et pendant les vingt ans qui ont suivi).

Ce petit livre, c’est tout aussi bien le portrait de l’artiste en militant tolérant, généreux et sidéré devant ce monde de plus en plus rigide et absurde, qu’en petit enfant espiègle caché derrière la porte gloussant de plaisir parce qu’il a tagué le mot « bite » sur le mur du salon de ses parents. 

Claude Frisoni : Ça va mieux en le disant ; Éditions Médiart, 140 pages, 12 euros : ISBN 978-2-9599749-5-3. 

Ian de Toffoli
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