Cinémasteak

Rock around the bunker

d'Lëtzebuerger Land du 30.07.2021

Portier de Nuit (1974), de Liliana Cavani, fait partie de ces œuvres censurées en Italie au nom de la bienséance et des bonnes mœurs catholiques. Tout comme Le Dernier Tango à Paris (1972) de Bernardo Bertolucci, La Grande bouffe (1973) de Marco Ferreri, ou le fameux Salò ou les 120 journées de Sodome (1975) de Pier Paolo Pasolini. Autant de films provocateurs nés dans l’incertitude et l’instabilité politiques des « années de plomb », période sombre de l’histoire de la Péninsule au cours de laquelle s’affirme, au cinéma, une certaine radicalité esthétique. Après des siècles de pudibonderie, l’époque est désormais sous forte influence sadienne, comme en témoignent les perversions sexuelles abondamment représentées sur les écrans...

En 1957, dans la capitale européenne de l’espionnage et de la psychanalyse, d’anciens dignitaires nazis ayant échappé au jugement de Nuremberg se retrouvent clandestinement à l’Hôtel de l’opéra. C’est là que Max (Dirk Bogarde), jadis Sturmbannführer, officie en tant que portier, sorte de gardien du temple veillant sur les intérêts de cette sinistre communauté qui n’éprouve pas la moindre culpabilité pour leurs méfaits durant la guerre. Pis encore : ces nostalgiques du IIIe Reich organisent, à la façon d’un club très sélect des réunions ayant pour but d’identifier et d’abattre des témoins compromettants qui pourraient les reconnaître et dévoiler leur véritable identité. Or c’est cela même qui se produit un soir de représentation de La Flûte enchantée de Mozart : en pleines mondanités, une Américaine, Lucia Atherton (Charlotte Rampling), bien qu’accompagnée de son mari, se fige soudainement à la vue de Max. Coup de foudre ? Ou réminiscence traumatique ? Un peu des deux, dès lors que Max et Lucia réactivent une relation sadomasochiste ayant débuté quinze ans plus tôt au sein d’un camp de concentration (!). Lui était bourreau et elle, une jeune déportée soumise à ses terribles sévices sexuels. C’est évidemment cet aspect qui sera jugé scandaleux lors de la sortie en salles du Portier de Nuit, d’autant plus que le montage alterne les temporalités pour révéler la continuité du désir entre ces deux personnages. Car si le sadisme des SS ne fait aucun doute, comment admettre qu’une victime ressente du plaisir aux cruels agissements dont elle est l’objet ? Puis lorsque celle-ci en redemande alors qu’elle est une rescapée de l’enfer nazi ? Liliana Cavani, qui fut au côté de Lina Wertmüller et de Cecilia Mangini l’une des rares cinéastes au pays de Maciste, ne livre ici aucune clé, laissant le spectateur seul à méditer sur ce mystère insondable de la psyché humaine. Un nihilisme philosophique que dépeint le chef-opérateur Alfio Contini à travers un lugubre camaïeu de gris, bleu et vert, quand d’autres séquences baignent dans une noirceur étouffante et indistincte.

Ce n’est pas la première fois que Charlotte Rampling et Dirk Bogarde jouent ensemble dans une fiction où des sexualités déviantes se font le reflet en même temps que le symptôme du pouvoir nazi. Avec Portier de Nuit, Liliana Cavani noue en effet un dialogue avec Les Damnés (1969) de Luchino Visconti, et anticipe d’une année l’adaptation française de Sade par Pasolini contre la consommation de masse et le commerce des corps que celle-ci permet à travers l’industrie du porno (Salò ou les 120 journées de Sodome). L’excès devient ainsi la forme monstrueuse que privilégient les cinéastes pour dire leur crainte, sinon leur opposition au néolibéralisme.

The Night Porter (Italie 1974), voang stf, est présenté vendredi 6 août à 19h à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg

Loïc Millot
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