Shéhérazade

Sindbad et son équipage autrichien

d'Lëtzebuerger Land du 26.04.2013

Des visages d’enfants illuminés au son des premières notes de musique, des yeux écarquillés à la première phrase contée, voici le voyage à travers l’univers des contes des Mille et une Nuits, un conte musical pour les cinq à neuf ans autour de Shéhérazade, dimanche dernier à la Philharmonie. Shéhérazade fut cette sublime Persane qui, afin d’échapper à la mort et éviter celle de nombreuses autres jeunes femmes, accepta de se marier avec le sultan Shahryar qui, pour cause d’adultère de sa première femme, se vengeait sans cesse en faisant assassiner toutes les suivantes. Shéhérazade, pour arrêter la rage mortifère du sultan, commença par lui raconter une histoire tellement palpitante, sans la terminer, ce stratagème dura 1 001 nuits, pendant lesquelles le sultan tombait peu a peu amoureux de la jeune conteuse et décida finalement de l’épargner ainsi que toutes les femmes du royaume. L’une de ces histoires est celle de Sindbad, le marin.
Ce conte atemporel a été réadapté en langue française et allemande par celui qui connaît parfaitement le jeune public : Dan Tanson. Dans un décor élégant et ingénieux, une toile semi-tendue, d’un côté puis de l’autre, et des dizaines de coussins blancs, en coton, en satin, incrustés de paillettes ou de diamants, une sublime conteuse, Betsy Dentzer, dans une gestuelle ample, une voix chaleureuse et un costume raffiné envoûte le public de petits têtes blondes installé sur un parterre d’autres coussins colorés et celui des parents, derrière.
La conteuse accompagnée de quatre musiciens se lance dans le récit et tout de suite tout le monde est réellement captivé – on sent les odeurs orientales, on ressent la brise maritime et toutes les lumières des paysages persans. La musique qui retentit, interprétée avec beaucoup de couleur et de précision est celle de Nikolaï Rimski-Korsakov, l’une des œuvres les plus brillantes du compositeur russe. Shéhérazade est également une suite symphonique qui ici a été arrangée par Leonard Eröd, qu’on retrouve grand, souriant, au basson. Autour de lui, le reste de l’équipage, le CrossNova-Ensemble, qui créé en 2006 à Vienne autour de Sabine Nova au violon, Hubert Kerschbaumer à la clarinette, Rainer Nova au piano, fonctionne comme une ensemble très flexible en terme de compositions et d’interprétations. Ici, sous la direction de Dan Tanson, les musiciens vont même muer en comédiens-matelots qui accentuent les aventures de Sindbad, le voyageur. Ils apparaissent tout d’abord en méchants créanciers qui enlèvent les biens du pauvre Sindbad et ensuite dotés de quelques rayures ça et là, évoquent un drôle d’équipage de marins qui s’esclaffent dans un accent fort et drôle – on y reconnaît un dialecte autrichien. Un effet qui est très fin, drôle et efficace.
Sur la toile transparente, mi-tendue qui sépare la scène en deux espaces avant/arrière, apparaissent de grandes animations – toutes les bêtes monstrueuses, leurs plumes et leurs écailles, et puis la ville natale du héros – avec ses délicates tourelles, un Bagdad, comme dans nos rêves. Tout ce que rencontre ce cher Sindbad a été dessiné et animé par le très talentueux, Claude Grosch.
Exactement comme les contes anonymes des Mille et une Nuits, le Shéhérazade luxemburgo-autrichien présenté à la Philharmonie est une petite merveille qui rassemble le génie et la générosité créatrice de toute une troupe. Et c’est à tous les niveaux que s’en ressent la qualité. Absolument chaque détail est parfaitement soigné, chaque geste et chaque son, réfléchi et posé avec beaucoup de maîtrise. Les enfants qui tranchent très vite en règle général – un public exigeant, ont eu du mal à quitter tout cet univers magique, ravis.

Karolina Markiewicz
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