Cinéma

Lutte des classes

d'Lëtzebuerger Land du 29.03.2019

Deux ans après Get Out, pour lequel il avait gagné l’Oscar du meilleur scénario original, l’auteur-réalisateur Jordan Peele revient à la charge avec un autre film d’horreur aux multiples niveaux de lectures. Us s’ouvre sur un flash back qui nous rappelle immédiatement les aptitudes exceptionnelles de ce cinéaste maîtrisant toute la gamme de ses instruments de narration.

Adelaide (Madison Curry) est en vacances avec ses parents à la plage de Santa Cruz, en Californie. Une ambiance hypnotique et menaçante s’installe par de subtils travellings approchant les personnages de derrière, un jeu sonore habile entre point de vue et point d’écoute et la flagrante insouciance du père (Yahya Abdul-Mateen II) quittant des yeux sa fille alors que la mère (Anna Diop) est partie pour quelques instants. Adelaide s’égare pendant un quart d’heure et se retrouve dans un labyrinthe de miroirs où elle fait une expérience traumatisante en rencontrant son double.

Une trentaine d’années plus tard, Adelaide retourne avec son mari Gabe (Winston Duke) et ses deux enfants (Shahadi Wright Joseph et Evan Alex) à Santa Cruz, toujours la peur au ventre. Mais Gabe, tout aussi insouciant que le père à l’époque, ne la prend pas au sérieux. Tout semble bien se passer jusqu’au moment où une famille constituée de leur doubles exacts apparaît devant leur maison.

Alors que le cauchemar prend de l’ampleur, le film gagne en profondeur et en humour. Les dialogues pleins de références à la culture populaire et de second degré sont un véritable bonheur. Lorsque le père propose de piéger les intrus « comme Kevin dans Home Alone », celle-ci n’arrive pas à le croire. Les sosies, quant à eux, s’avèrent être bien plus que des zombies ou des fantômes. Ils sont des copies moins chanceuses que leurs originaux et ont une véritable cause. De la parabole sur le racisme concret et latent envers les afro-américains dans Get Out, on passe à une parabole plus générale sur le déterminisme social et le recours à la violence. Le double, en effet, n’est pas uniquement une projection de la pire version de nous, mais aussi de la plus restreinte.

L’image de cette révolution grotesque, surgie de nulle part, est à son comble lorsqu’un père de famille agressé par sa copie ordonne à sa boîte de commande vocale (Alexa, devenue ici Ophelia) d’appeler la police et se retrouve avec la chanson Fuck the police par NWA, jouée à plein volume pendant qu’il se fait massacrer.

Le réalisateur réussit à canaliser ces métaphores et commentaires sur la société américaine dans la trame classique d’un film de zombie/d’invasion. Ironie du sort, les protagonistes cherchent à se frayer leur chemin vers le Mexique pour se sauver. Jusqu’à l’ultime revirement, le cinéaste reste conséquent dans son écriture et conclut que la menace dort en nous. Une bande-son garantissant la chair de poule, signée Michael Abels et l’interprétation de l’actrice Lupita Nyong’o dans le rôle principal complètent ce deuxième long-métrage de Jordan Peele.

Fränk Grotz
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