Cinéma

Éclore lentement, faner vite

d'Lëtzebuerger Land du 08.09.2017

Une maison à l’écart de la rumeur du port. Une jeune femme, un homme qui l’est moins. Une servante. Un foyer amstellodamois bourgeois, au début du XVIIe siècle. Cornelis (Christopher Waltz), prospère marchand de poivre, voudrait un enfant de sa seconde femme Sophia (Alicia Vikander), qu’il a épousée pour conjurer le sort, après la mort de ses deux nouveau-nés et de leur mère. Leur relation est courtoise, un peu empruntée. Fonctionnelle. Alors que le marché clandestin du bulbe de tulipe est en plein essor dans les arrière-salles des tavernes, la peinture aussi connait son âge d’or. Il est alors de bon ton de céder à la vanité et de poser. Cornelis, préoccupé par sa postérité, engage donc un peintre pour exécuter le portrait du couple, Jan Van Loos (Dane DeHaan). Fougueux et désœuvrés, les deux jeunes tombent amoureux, cèdent à la passion et planifient leur fuite, en convoquant le commerce des fameux bulbes et l’aide opportune de la servante Maria (Holliday Grainger).

Tulip fever signe le grand retour du drame romantique en costumes. Finalement réalisé par Justin Chadwick, à qui l’on doit déjà The other Boleyn girl (2008), le film a mis du temps à parvenir sur les écrans, sa production ayant été reportée d’une dizaine d’années pour cause de crédits d’impôts gelés par la prudente Angleterre, pour enfin être privé de sortie pendant deux ans. Il aura fallu attendre l’Oscar d’Alicia Vikander et l’annonce de sa participation à la nouvelle franchise Tomb raider pour que les distributeurs sortent discrètement Tulip fever.

Adapté du roman éponyme de Deborah Moggach et coécrit par elle-même, le scénario ne s’embarrasse pas d’explications : comment Jan et Sophia se sont-ils plus ? Pourquoi Cornelis est-il si passif ? Où est la volonté de Maria ? Il faut donc d’autres approches dramaturgiques. Et c’est ainsi que l’on se rapproche de la farce, que l’on emprunte à la relation maître-valet. Ce mélange de genres n’est pas sans intérêt, or ici, il colmate les brèches de plus en plus béantes et ce, jusqu’à la toute fin. On assiste à des scènes dénuées de délicatesse, aux péripéties grossières.

Outre ce scénario très convenu, du même acabit que ces romans que l’on aime feuilleter dans les vieilles maisons de campagne lorsque l’on a oublié son livre à la maison, la mise en scène de Justin Chadwick n’aide en rien. S’il prend son temps au début et réussit à rendre compte de l’ambiance des maisons de l’époque, les enjeux socio-économiques des familles, le réalisateur oublie de saisir l’essentiel : les sentiments. On en parle beaucoup, on n’en voit très peu. La voix off de Maria nous indique que les deux jeunes femmes étaient telles des sœurs : dans les faits, rien ne se prête à une telle relation. Les amants se murmurent des « je t’aime : à l’écran, on peine à savoir comment et pourquoi. Au spectateur de respecter la convention, d’écouter ce qu’on lui dit, aveuglé par une lumière inspirée de la peinture dont on parle. Mais là encore, la beauté recherchée n’est là que pour se faire remarquer. Des tavernes aux ruelles animées, des chambres au bord de mer, c’est bien le factice qui domine et ce n’est pas une question de budget.

Servi par un casting prestigieux mais peu audacieux, truffés de figurants stars, Tulip fever connait la tragédie de la grandiloquence vouée à la médiocrité :  le verbe est ambitieux, servi par des détails remarquables (décors, costumes), mais manque d’implication tant sur le fond que dans la forme.

Marylène Andrin-Grotz
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