Retours forcés

Complices ou solidaires?

d'Lëtzebuerger Land du 01.08.2002

Le mardi 23 juillet 2002, onze associations engagées dans la défense des droits des étrangers en général et des réfugiés en particulier1 ont présenté à la presse une prise de position - antérieurement communiquée au ministre de la Justice - relative «aux procédures de retour forcé des demandeurs d'asile déboutés». Intitulé peut-être réducteur, alors que, en réalité, le papier traite au moins autant de non-retour et de retour tout court que de retour forcé. Intitulé cependant significatif, parce que c'est bien le spectre des retours forcés, avec son cortège de frustrations et de souffrances, qui a poussé des associations se préoccupant au jour le jour du sort des réfugiés, à s'avancer sur un terrain autrement plus exigeant - et par conséquent plus périlleux - que celui des déclarations - tout aussi bien intentionnées - se cantonnant dans une opposition de principe à tout retour forcé.

Le fait que la publication de la prise de position des onze associations signataires ait coïncidé de très près avec la signature d'un accord de réadmission avec la Yougoslavie relève plutôt du hasard, alors que le document était en préparation depuis déjà plus de six mois. En effet, le problème du retour des demandeurs d'asile déboutés existe depuis bien avant la signature de cet accord de réadmission, tout comme il continuera à se poser à l'avenir, et pas seulement pour les personnes originaires de l'ex-Yougoslavie. Aussi, l'objet de la prise de position n'était-il pas, spécifiquement, le sort à réserver aux demandeurs d'asile déboutés originaires du Monténégro et, dans une moindre mesure, de Serbie et du Kosovo.

 

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Plusieurs constats, en forme de cascade, gisent à la base de la prise de position des associations signataires :

1. Ce n'est pas parce qu'une personne a été déboutée de sa demande d'asile que, pour autant, elle pourrait ou devrait nécessairement rentrer dans son pays d'origine. Il existe différentes raisons pour lesquelles il peut être impératif ou souhaitable de conférer à une telle personne un droit de séjour au Luxembourg.

Il est indiscutablement impératif de le faire lorsque, bien que ne répondant pas aux conditions très strictes (ou du moins appliquées de manière très restrictive) d'admission au statut de réfugié tel que prévu par la Convention de Genève, une personne se trouve exposée, dans son pays d'origine, à un danger pour sa vie, son intégrité physique, sa sécurité, sa liberté ou sa dignité.

Il peut être souhaitable, voire impératif, de le faire pour des raisons qui, ainsi que le souligne la prise de position, peuvent tenir «soit à la situation particulière des personnes concernées (situation familiale; degré d'insertion dans le tissu social luxembourgeois, mérites particuliers. . .), soit à la situation environnante, que ce soit dans le pays d'origine (situation économique particulièrement difficile; instabilité latente . . .) ou au Luxembourg (besoin de main d'oeuvre . . .)».2

Par ailleurs, il arrive fréquemment que le retour de demandeurs d'asile déboutés est matériellement impossible (temporairement du moins), en particulier parce que les personnes concernées ne sont pas en possession des papiers requis pour rentrer dans leur pays ou parce que celui-ci n'est pas disposé à les reprendre.

 

2. Malgré le fait que leur retour au pays d'origine est souvent intolérable, non-souhaitable ou impossible, pratiquement tous les déboutés définitifs du droit d'asile se voient adresser, sans examen préalable de leur situation individuelle (autrement que sous l'angle du statut de réfugié), une invitation à quitter le territoire luxembourgeois.

 

3. Dès lors que les déboutés du droit d'asile se sont vu apposer le tampon «Annulé» sur leur attestation de demandeur d'asile et qu'ils ont été invités à quitter le territoire, ils ne perçoivent plus, en principe, d'aide sociale et restent, par conséquent, sans ressources (sauf à se placer dans l'illégalité en travaillant au noir).

 

4. Parce qu'il fait adresser des invitations à quitter le territoire à pratiquement tous les déboutés du droit d'asile sans avoir vérifié, au préalable et moyennant un examen de leur situation individuelle, si leur retour est tout à la fois matériellement possible, tolérable et vraiment souhaitable, le ministre compétent n'est pas, dans un très grand nombre de cas, en mesure de mettre à exécution ces invitations.

Du coup, les invitations à quitter le territoire perdent l'essentiel de leur crédibilité et, pour cette raison, ne débouchent que sur très peu de retours consentis, les personnes concernées préférant «jouer leur chance» en se maintenant sur le territoire autant que faire se peut, dans l'espoir, fut-il largement illusoire, de pouvoir, un jour, régulariser leur situation.

 

5. L'absence, ou du moins la rareté, des retours consentis débouche inéluctablement, à un moment donné, sur des retours forcés. Ceux-ci s'abattent alors, plutôt par hasard, sur ceux-ci ou ceux-là, sans que n'ait été faite, sur base de la situation individuelle des personnes concernées, une appréciation du caractère tolérable et véritablement souhaitable de leur retour.

Quant à ceux qui n'ont pas (encore) eu la malchance de faire l'objet d'un retour forcé, ils se retrouvent, parfois pendant très longtemps, dans des situations de grande précarité, non seulement matérielle, mais également psychologique, le spectre du retour planant en permanence. Cette précarité pèse tout spécialement sur les adolescents qui, devant toutes ces incertitudes, sont incapables de trouver des repères qui, pourtant, leur sont particulièrement indispensables.

 

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C'est sur cet arrière-fond, et parce que «la cohérence, la prévisibilité et le souci de l'équité sont des impératifs de toute politique de retour qui se veut à la fois juste et efficace», que les signataires de la prise de position avancent comme revendication fondamentale la suppression de tout «automatisme entre une décision de débouté d'une demande d'asile et une invitation à quitter le pays».

Ce que les signataires revendiquent, c'est qu'avant qu'une invitation à quitter le territoire ne puisse être adressée à un débouté du droit d'asile, il ait été procédé, suivant une procédure que la prise de position détaille et qui permet à la personne concernée de faire valoir ses droits et ses arguments, à un examen de sa situation individuelle pour apprécier si son retour est à la fois matériellement possible, tolérable et véritablement souhaitable.

Ce que les signataires demandent encore, en toute logique, c'est que s'il résulte de l'examen de la situation individuelle d'un demandeur d'asile débouté que son retour est intolérable ou non souhaitable, il se voie accorder une autorisation de séjour avec droit au travail, et que s'il résulte de cet examen que le retour est matériellement impossible, il se voie accorder le statut de tolérance prévu par la loi, mais jamais conféré par le ministre compétent.

S'agissant de déboutés du droit d'asile dont le retour n'est ni matériellement impossible, ni intolérable, ni vraiment non souhaitable, la prise de position se soucie de leur assurer, outre les droits procéduraux destinés à garantir un examen sérieux et équitable de leur situation individuelle, des délais raisonnables pour un départ suivant des modalités à définir avec les autorités compétentes et une aide au retour.

S'agissant de ceux qui, bien qu'invités au retour (à l'issue, par hypothèse, d'une évaluation de leur situation individuelle conforme aux exigences de la prise de position), se soustraient à celui-ci, la prise de position se soucie de définir les garanties auxquelles doit répondre toute mesure de retour forcé, étant entendu que «le recours au retour forcé ne peut constituer que l'ultime étape dans une démarche qui a pour objectif d'éviter la nécessité de mettre en oeuvre le retour en recourant à la contrainte».

 

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Bien que visant à procurer aux déboutés du droit d'asile des droits et des garanties dont ils ne bénéficient pas en l'état actuel de la pratique des autorités luxembourgeoises, la prise de position  n'a pas fait l'unanimité dans les milieux traditionnellement engagés du côté des étrangers en général et des demandeurs d'asile en particulier.

Ainsi, si la prise de position n'a pas pu être publiée au nom du Lëtzebuerger Flüchtlingsot (Collectif Réfugiés), c'est parce que l'Asti en particulier s'est sentie incapable d'y adhérer. Le motif, tel que relaté dans la presse, en résiderait dans le fait qu'il serait illusoire de croire que le gouvernement accepte d'agir en conformité avec les standards minima définis par la prise de position3. On a évidemment envie de faire remarquer que si les associations engagées dans la défense des droits des réfugiés avaient pour habitude de définir leurs revendications à l'aune de ce que le gouvernement est disposé à concéder, elles perdraient - Asti comprise - l'essentiel de leur raison d'être. Mais les choses sont bien sûr plus compliquées: voyant dans la prise de position un «papier de compromis» (plus ou moins bien taillé), l'Asti suggère sans doute que le gouvernement pourra en retenir ce qui lui convient (à savoir, essentiellement, que tout retour, même forcé, n'est pas nécessairement condamnable) sans pour autant en respecter les exigences.

Encore que ce danger ne puisse pas être totalement écarté - les associations signataires ne pouvant pas être tenues garantes de l'honnêteté intellectuelle de nos responsables politiques - les auteurs de la prise de position ont, lors de la conférence de presse du 23 juillet 2002, pris soin d'insister sur le fait que celle-ci était indivisible et que, par conséquent, nul n'était en droit de s'en prévaloir sans en accepter tous les éléments.

Une critique plus radicale vient des partis Déi Gréng et Déi Lénk. Pour Déi Lenk, le député Serge Urbany a déclaré, en réaction à la prise de position, que «wir sind gegen jede Zwangsrückführung»4. La députée verte Renée Wagener reproche quant à elle  aux associations signataires de risquer de se faire les «unfreiwillige Handlanger» du gouvernement (un peu comme, en d'autres temps, les pacifistes passaient pour être des «imbéciles utiles» servant la cause  de Moscou!). Selon elle, les Verts s'en tiennent, eux aussi, à leur position traditionnelle opposée à tout retour forcé («die Grünen bleiben bei ihrer prinzipiellen Position gegen Abschiebungen»).5

Si l'on voulait à son tour choisir la voie de la plus grande facilité, on se limiterait à faire remarquer qu'il s'agit d'une position de principe que les Verts en particulier auront à réexaminer au plus tard lorsqu'ils auront l'opportunité d'entrer dans un gouvernement! Plus sérieusement, mais en se cantonnant de son côté sur le plan des formules dont l'objet est d'exorciser les réalités, on pourrait faire remarquer que la prise de position prend soin de souligner que, moyennant celle-ci, les associations signataires «n'entendent d'aucune manière apporter leur caution à une quelconque politique de retours forcés».

Mais, formules de précaution mises à part, il est vrai que quiconque définit - dans le souci de protéger au mieux les personnes concernées - «des standards auxquels toute politique en matière de retour devrait, au minimum, répondre», admet par la même, fut-ce a contrario, que tout retour forcé n'est pas, en toutes circonstances, condamnable.

Ceux qui se disent opposés «par principe» à tout retour forcé, sont-ils pour autant capables d'assumer leurs positions? Car le refus, par principe, de tout retour forcé a pour conséquence logique l'abandon de toute obligation de retour tout court et, de fil en aiguille, la proclamation d'un droit sans restriction d'entrée au pays. Or, même ceux pour lesquels un monde sans frontières pour la circulation des personnes représente un idéal vers lequel il convient de tendre, ne préconisent pas sérieusement, en l'état, l'ouverture totale des frontières. 

Il suffisait de lire les comptes-rendus de la conférence organisée par l'Asti sous le titre prometteur Faut-il ouvrir les frontières?, pour déchanter en constatant que l'oratrice, Catherine Withol de Wenden, directrice de recherches au CNRS, ne préconisait, en réalité, que d'ouvrier beaucoup plus largement ces frontières, sans pour autant, du tout, les abolir. Et tous ceux qui réclament une politique d'immigration «plus ouverte» admettent par là même - eux aussi a contrario - qu'une telle politique a une raison d'être alors même que, par définition, elle comportera des restrictions, fussent-elles moindres, à l'immigration.

Autant dire qu'à mes yeux, on ne fait pas réellement avancer la cause des personnes concernées en se confinant dans une opposition de principe à tout retour forcé. Tout comme, de la sorte, on ne résout en rien la situation de ceux qui, invités à partir et privés de toute aide sociale, se retrouvent dans une situation de grande précarité matérielle et morale. Par ailleurs, s'agissant de la question de savoir si les organisations signataires de la prise de position risquent de se faire les hommes de mains, même involontaires, du gouvernement, il fait bon de rappeler que celui-ci n'a pas du tout attendu leur prise de position pour mettre en oeuvre des retours forcés que ni les signataires de la prise de position, ni ses détracteurs n'ont été capables d'empêcher. 

On l'aura compris: toute position se cantonnant dans une opposition de principe à tout retour forcé me paraît relever des registres de la  démagogie.

 

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Ceci étant dit, il n'est pas étonnant que la prise de position ait pu laisser sur leur faim ceux qui voudraient savoir quels seraient, concrètement, les demandeurs d'asile déboutés qui, au bout du compte, auraient vocation à sortir gagnants de l'examen individuel de leur situation qui y est préconisé. La prise de position ne se prononce en effet guère sur la question de savoir quand un retour devrait être tenu pour «non souhaitable».6

Outre que les associations signataires auraient sans doute eu des difficultés à s'accorder sur des critères précis en la matière, un tel exercice les aurait, à coup sûr et en dépit de toutes les précautions de langage dont elles auraient pu faire usage, exposé à une critique plus aiguë encore. En effet, lus à rebours, les critères ainsi arrêtés auraient fini par pointer du doigt ceux dont le retour, fut-il forcé, aurait été jugé acceptable - ou du moins pas franchement inacceptable.

Aussi la prise de position constate-t-elle que «la question de savoir dans quels cas de figure des retours sont à considérer comme non souhaitables constitue, dans une large mesure, une décision à caractère politique» et qu'il «appartient donc au ministre compétent de se doter d'une politique en la matière», en ajoutant que «en présence d'une décision de refus d'une demande d'asile, le ministre doit donc encore, sous sa responsabilité, apprécier si un retour est vraiment tolérable/ souhaitable».

Contrairement à ce que l'un ou l'autre a pu comprendre, la référence à une «politique» dont le gouvernement aurait à se doter et au fait que c'est «sous sa responsabilité» que le ministre compétent aurait à apprécier les situations individuelles, ne signifie ni que les associations signataires ne prétendraient pas observer de près et influencer cette politique, ni que le ministre compétent serait laissé libre de ses décision, que ce soit sous l'angle juridique ou politique. 

Par contre, chacune des associations signataires reste entièrement maître de ses appréciations en la matière et de la définition de ses modes d'action pour influencer les décisions à prendre ou s'y opposer. En ce sens, il n'est pas correct de dire que la prise de position laisserait une trop grande marge de manoeuvre, sans possibilité de contrôle par un tribunal, au gouvernement7. En tout état de cause, cette marge de manoeuvre ne se trouverait en rien élargie par rapport à la situation actuellement existante.

 

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Alors que l'objet de la prise de position n'était pas de dire si, oui ou non, les ressortissants Yougoslaves arrivés au Luxembourg en raison du conflit du Kosovo devaient se voir accorder un droit de séjour au Luxembourg, l'actualité a fait que c'est une réponse à cette question que plus d'un y a tout naturellement cherché sans pouvoir, vraiment, l'y trouver.

Et puisque la question est dans tous les esprits, je dirai, comme suit, mon opinion personnelle sur la question : Les années 1990 entreront sans doute dans l'histoire de l'Europe comme celles où, à la faveur de la dislocation du bloc de l'Est, l'Europe a, après 45 années de paix, de nouveau connu la guerre - plusieurs guerres - sur son propre territoire. Même si, Union Européenne aidant, nous oublions trop souvent que Belgrade, Podgorica et Pristina nous sont géographiquement plus proches qu'Athènes.

Il n'est pas fou d'espérer que pareille situation ne se reproduira pas à brève ou moyenne échéance et que nous ne serons pas, dans les années à venir, confrontés à de nouveaux flux massifs de réfugiés. Notre économie et notre société sont tout à fait capables d'intégrer, à relativement court terme, les personnes arrivées au Luxembourg à la suite des guerres en ex-Yougoslavie et qui ne le sont pas encore pleinement à l'heure actuelle. 

Un pays qui, à juste titre, s'évertue de consacrer plus de 0,8 pour cent de son revenu national brut à la coopération au développement et qui a toujours contribué à «faire l'Europe», devrait se faire un honneur de contribuer au développement économique du Sandjak monténégrin et serbe en permettant à des personnes condamnées au chômage en cas de retour dans leur pays d'origine, de travailler chez nous pour pouvoir soutenir ceux qui sont restés au pays et, moyennant le pouvoir d'achat ainsi transféré, contribuer à revitaliser des économies locales que dix années d'incertitudes et de guerres ont mis à terre.

Lorsque ce n'est pas strictement nécessaire, le fait de renvoyer chez elles des familles dont les enfants se sont intégrés au tissu social et éducatif luxembourgeois, et dont beaucoup n'auront pas même l'opportunité de poursuivre leurs études une fois rentrés «chez eux», est humainement injustifiable. Quand, simultanément, on s'efforce de recruter de la main-d'oeuvre étrangère dans d'autres pays, la chose devient franchement honteuse!

En un mot : mis à part des motifs d'amour propre de certains responsables politiques qui paraissent ne vouloir se déjuger à aucun prix, il n'existe pas de raison de forcer au départ ceux qui sont arrivés au Luxembourg en provenance de Yougoslavie dans le cadre de la crise du Kosovo. La première erreur politique a consisté à arrêter les dates limite de la procédure de régularisation lancée en mars 2001 de manière à, délibérément, en exclure ce contingent de réfugiés. La deuxième erreur politique consisterait à persister dans la première.

 

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Malheureusement, c'est bel et bien la persistance dans l'erreur qui semble l'emporter actuellement - sans que l'on sache vraiment si le chef du gouvernement s'est pleinement penché sur une problématique qui, en raison de son importance, ne saurait relever de la seule responsabilité du ministre du ressort.

Actuellement, les événements donnent l'impression de s'emballer: moyennant environ 800 «lettres circulaires» du 29 juillet, les ministres de la Famille et de la Justice viennent d'écrire ce qui suit à un nombre identique de personnes, enfants compris, originaires de la République Fédérale Yougoslave:

«Le Gouvernement est au regret de vous confirmer que vous vous trouvez en situation illégale sur le territoire luxembourgeois. Afin de pouvoir bénéficier d'un retour assisté dans votre pays d'origine, le Gouvernement vous prie de vous présenter soit au Ministère de la Famille, 12-14, avenue Emile-Reuter, soit aux services réfugiés de Caritas, 29, rue Michel-Welter ou de la Croix-Rouge luxembourgeoise, parc de la ville à Luxembourg, où l'on vous aidera dans la préparation de votre départ.

Vous devez vous adresser à l'une de ces adresses avant mardi, 6 août 2002, afin de pouvoir profiter d'une aide financière du Gouvernement, de même que de son assistance en ce qui concerne l'envoi de vos affaires personnelles. Faute de retour assisté, le Gouvernement procédera à votre retour forcé.»

La lettre est à ce point circulaire qu'elle a même été adressée à des personnes entre-temps régularisées, des personnes mariées depuis plusieurs mois à des ressortissants luxembourgeois ou à des personnes qui ont déjà fait, spontanément, une demande de «rapatriement» dans leur pays d'origine!

Le fait que cette lettre ait pu être «mise en circulation» sans que le ministre de la Justice n'ait, au préalable, fait savoir aux associations signataires de la prise de position sur les retours qu'il n'avait cure de leurs préoccupations, témoigne d'une absence totale de considération de la politique pour la société civile engagée. Alors que c'est à elles seul qu'il appartiendra de réagir comme elles l'estimeront adéquat, la situation devrait être particulièrement choquante pour la Caritas et la Croix-Rouge, toutes deux signataires de la prise de position sur le retour, et que le gouvernement prétend associer à sa démarche alors même que celle-ci ne tient aucun compte de cette prise de position.

 

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En procédant par voie de lettre circulaire non signée, à l'attention de tous les ressortissants de la République Fédérale Yougoslave et de ceux-là seulement, le gouvernement s'engage d'ailleurs sur un terrain juridiquement miné. Par un arrêt du 5 février 2002, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a, pour la première fois, à la suite de l'expulsion de Belgique de plusieurs dizaines de familles tziganes slovaques, constaté une violation de l'article 4 du Protocole n° 4 à la Convention Européenne des Droits de l'Homme suivant lequel «les expulsions collectives d'étrangers sont interdites»8. 

Dans son arrêt, la Cour commence par rappeler «sa jurisprudence d'après laquelle il faut entendre par expulsion collective, au sens de l'article 4 du Protocole n° 4, toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure est prise à l'issue et sur la base d'un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui forment le groupe (Andric c. Suède)», pour préciser ensuite que «cela ne signifie pas pour autant que là où cette dernière condition est remplie, les circonstances entourant la mise en oeuvre de décisions d'expulsion ne jouent plus aucun rôle dans l'appréciation du respect de l'article 4 du Protocole n° 4». 

Or, alors même que la demande d'asile des requérants avait en l'occurrence fait l'objet d'un examen individuel, et au vu d'une série d'éléments, dont le fait qu'«un grand nombre de personnes de même origine a connu le même sort», la Cour arrive à la conclusion que «la procédure suivie n'offrait des garanties suffisantes attestant d'une prise en compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chacune des personnes concernées».

Nos responsables politiques veulent-ils vraiment exposer notre pays au risque de devenir le deuxième État du Conseil de l'Europe à subir une condamnation autrement infamante que celles résultant, par exemple, du non respect du délai raisonnable d'une procédure? Et ce pendant que nous assumons la présidence du Conseil de l'Europe, toujours très préoccupé du traitement des étrangers en général et des demandeurs d'asile en particulier9.

Pauvre Luxembourg!

 

1 Il s'agit des associations suivantes, toutes membres du Lëtzebuerger Flüchtlingsrot (Collectif Réfugiés): Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), Action solidarité tiers monde (ASTM), Alliance des églises protestantes, Caritas, Centre chrétien d'éducation des adultes (CCEA), Comité de liaison et d'action des étrangers (Clae), Croix Rouge, Iwerliewen fir bedreete Volleker, Jesuit refugee service, SeSoPi Centre intercommunautaire. La prise de position peut être consultée sous www.astm.lu

2 Sauf précision contraire, toutes les citations à venir sont extraites de la prise de position des associations signataires. 

3, 4, 5 in : woxx, édition du 26 juillet 2002

6 Il est rappelé que la prise de position se borne à constater à ce propos que les raisons pour lesquelles un retour n'est pas souhaitable «peuvent tenir soit à la situation particulière des personnes concernées (situation familiale; degré d'insertion dans le tissu social luxembourgeois, mérites particuliers. . .), soit à la situation environnante, que ce soit dans le pays d'origine (situation économique particulièrement difficile; instabilité latente . . .) ou au Luxembourg (besoin de main d'oeuvre. . .)»

7 Me Guy Thomas, vis-à-vis de woxx, édition précitée du 26 juillet 2002.

8 Arrêt Conca c.Belgique, Requête n° 51564/99; cet arrêt, particulièrement intéressant dans sa motivation et qui a dû venir comme une surprise pour la Belgique, peut être consulté sous www.echr.coe.int

9 Cf. en particulier, tout récemment, et sur le sujet des expulsions, Recommandation 1547 (2002) sur «Procédures d'expulsion conformes aux droits de l'homme et exécutées dans le respect de la sécurité et de la dignité». Cette recommandation peut être consultée sous www.assembly.coe.int

L'auteur est du conseil d'administration de l'une des organisations signataires et ayant contribué à la rédaction de la prise de position sur le retour forcé des demandeurs d'asile déboutés, il s'exprime ici à titre purement personnel.

 

 

 

 

 

Marc Elvinger
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