Le tribunal administratif n’a pas souhaité trancher sur-le-champ une affaire délicate de regroupement familial et a préféré déléguer le dossier à la Cour de justice des communautés européennes. Celle-ci devra vraisemblablement répondre à une question préjudicielle d’interprétation de la directive sur le droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des 27, avant que l’affaire puisse être réglée définitivement par les instances administratives luxembourgeoises.
Le tribunal voudrait savoir si la directive européenne touche « les membres de la famille qui ont obtenu cette qualité préalablement à la date à laquelle le citoyen de l’Union qu’ils entendent accompagner ou rejoindre a exercé son droit à la libre circulation (…) ou est-ce que, au contraire, tout citoyen de l’Union qui exerce son droit à la libre circulation et est installé dans un autre État membre que celui dont il a la nationalité, est en droit de se faire rejoindre par un membre de sa famille sans que ce dernier ne soit soumis à une condition au moment de l’acquisition de cette qualité. »
Concrètement, il s’agit du mariage d’une ressortissante néerlandaise avec un Marocain l’année dernière. La personne qui habite et travaille au Luxembourg depuis 1998, avait rencontré son futur mari au grand-duché où ils ont vécu ensemble pendant un certain temps. Or, la demande en reconnaissance du statut de réfugié du concubin avait été rejetée en 2005 par les autorités luxembourgeoises, qui avaient ensuite perdu sa trace. La police judiciaire l’a finalement retrouvé et il fut placé au centre de rétention pour étrangers en situation irrégulière en juillet 2006. En août, il fut rapatrié au Maroc avec un refus d’entrée et de séjour au Luxembourg.
Six mois plus tard, sa compagne le rejoint et ils célèbrent leur mariage. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de persister à refuser l’autorisation de séjour du mari à cause de l’interdiction d’entrée et de séjour de 2006. Le tribunal administratif fut alors saisi par le couple pour qu’il annule ce refus du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration. Ils avancent que la Convention européenne des droits de l’homme a été violée parce que le couple a été empêché « d’exercer son droit à une vie privée et familiale, ce qui constituerait ainsi une ingérence disproportionnée et injustifiée dans leur vie affective. » Les droits de l’épouse seraient avant tout lésés parce qu’elle aurait rempli une déclaration de prise en charge financière pour son mari et aurait été forcée à se déplacer plusieurs fois au Maroc pour maintenir son couple.
Le gouvernement met en cause cette violation du droit au regroupement familial, parce que la Convention européenne des droits de l’homme ne concerne, selon lui, que les vies familiales déjà existantes. Comme le couple n’a été marié qu’après l’expulsion vers le Maroc, l’article invoqué « ne saurait cependant servir à la création d’une vie familiale nouvelle moyennant mariage contracté à l’étranger ». Il est aussi d’avis que l’État avait le droit de se mêler de cette affaire parce que le mari avait formulé sa première demande d’asile sous un faux nom.
Une suspicion d’un mariage blanc entre les lignes ? Le mariage en tant que moyen d’obtenir quand même une autorisation d’immigrer et de résider au Luxembourg ? Le couple se défend en apportant six attestations testimoniales et un questionnaire concernant le mariage adressé par la commune où ils auraient cohabité « en toute transparence ». Ils maintiennent avoir accompli les démarches administratives nécessaires pour un mariage civil au Luxembourg – avant la décision de refus d’entrée et de séjour du ministre.
La question se pose donc de savoir si le droit communautaire a réglé ce cas de figure. Comme l’épouse est de nationalité néerlandaise et qu’elle exerce son droit à la libre circulation dans l’UE depuis 1998, peut-elle – par son mariage avec un ressortissant d’un pays tiers – bénéficier du droit au regroupement familial au Luxembourg, alors que l’union officielle a eu lieu après son déménagement ? Certains médiront que c’est couper les cheveux en quatre. Car il est difficilement concevable que le droit communautaire veuille forcer les ressortissants résidant dans un autre pays membre à éviter une union « extra-muros ». Ce qui signifierait une différence de traitement entre les nationaux et les ressortissants d’un autre pays membre, pour certains une discrimination incompatible avec les principes fondamentaux de l’Union européenne. Dans ce cas-ci, le tribunal doit trancher une difficile question du domaine de la vie privée et personnelle dont l’immixtion étatique semble être déplacée et confirme les sentiments de suspicion générale qui apparaît aussi à travers le projet de loi sur les mariages blancs (voir l'article).
La Cour de justice vient maintenant de réagir à la question en se référant à un précédent arrêt concernant l’Irlande. Selon cette jurisprudence, la Cour donne une interprétation large de la directive sur le droit de fonder une famille et de vivre avec son conjoint. Elle confère donc des droits sensiblement identiques à une personne de nationalité européenne, vivant dans un autre pays membre de l’Union, qu’aux résidents nationaux. Le tribunal administratif est maintenant invité à informer la Cour s’il souhaite ou non maintenir la demande préjudicielle.