Projet de loi sur l’accueil et l’intégration

L’intégration ou la porte

d'Lëtzebuerger Land du 17.01.2008

Et si, polygames, ils amenaient toutes leurs femmes ? Bédouins, ils plantaient leurs tentes dans les cours des hôtels, comme Mouammar Kadhafi à Paris ? Latins, ils couraient après nos filles ; asiatiques, ils mangeaient nos chiens ; juifs, ils égorgeaient les moutons dans la grand-rue et musulmans, ils élevaient leurs enfants pour exécuter des attentats-suicide sur le Héichhaus au Kirchberg ? Inadmissibles,ces préjugés racistes ? Rassurez-vous, personne ne les formule ouvertement ; néanmoins, c’est un peu le credo qui plane sur toutes les discussions actuelles autour de l’immigration en général et celle en provenance des pays tiers en particulier. Si on laissait faire les auteurs de lettres à la rédaction, il n’est pas sûr qu’ils ne viendraient pas à la conclusion qu’il faut réintroduire la peine de mort pour tous ceux, frontaliers ou immigrés, qui ne les accueillent pas enluxembourgeois dans un commerce.

Parce qu’il s’est fait régulièrement épingler par les instances internationales surveillant les droits de l’homme et l’application de l’égalité de traitement, le gouvernement CSV-LSAP a entamé une grande réforme des droits et de l’intégration des étrangers, qui se décline en de nombreuses initiatives, projets de loi, règlements grand-ducaux ou réforme de la Constitution, qui, malheureusement,sont traités individuellement, de manière disparate, certaines mesures étant même parfois contradictoires (comme la durée de résidence), au lieu d’en faire un texte uniforme et cohérent.

Ainsi, le ministre de la Justice, Luc Frieden (CSV), a déposé en octobre 2006 le projet de loi sur la nationalité, prévoyant entre autres la double nationalité, son collègue de l’Immigration, Nicolas Schmit (LSAP), la réforme de la loi Schaus de 1972, intitulée projet de loi sur la libre-circulation et l’immigration, couplant le permis de séjour à celui de travailler. Le 1er janvier fut abolie, par règlementd’urgence, la carte de séjour pour ressortissants européens, et laChambre des députés veut faciliter la procédure de naturalisation (quelque 400 en 2006/2007) en rayant l’article 10 de la Constitution (d’Land 02/08)…

Dernière endate de ces réformes : le dépôt, le 31 décembre 2007, du projet de loi 5825 « concernant l’accueil et l’intégration des étrangers du grand-duché de Luxembourg » par la ministre de la Famille Marie-Josée Jacobs (CSV), qui remplacera la loi du 28 juillet 1993 sur l’intégration des étrangers. Alors que le ministre délégué à l’Immigration, Nicolas Schmit, a toujours insisté sur la nécessité de penser et de traiter les deux volets – la gestion de l’arrivée d’immigrés et leur intégration au Luxembourg – en commun, lesdeux ministres, l’un chrétien-social, l’autre socialiste, n’ont pas pu se rallier sur un seul texte de loi et une seule procédure. Une preuve dumanque d’intégration dans le gouvernement Juncker/Asselborn ?

Or, à l’arrivée, le texte du projet de loi du ministère de la Famille est décevant. Qui espérait y trouver une approche nouvelle, une panoplie de droits et d’aides pour les primoarrivants restera sur sa faim. Le projet consiste surtout en la création de nouvelles structures administratives d’encadrement des étrangers – sur la quarantaine d’articles, davantage de place est accordée à expliciter les carrières des fonctionnaires qui travailleront dans ces organes qu’aux droits de ceux qu’ils administreront, cela paraît bien absurde. Et encore, deux organes, un « cercle interreligieux » et un « haut conseil à l’intégration », qui étaient prévus dans l’avant-projet soumis à consultation aux ONG en 2007, ne se retrouvent plus dans le texte déposé, surtout parce que ces dernières n’en voyaient pas la nécessité. 

En gros, le projet de loi 5825 remplace l’actuel Commissariat du gouvernement aux étrangers, ayant une « connotation répressive » selon les auteurs du texte, par un Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration (Olai)1. Cet office reprendra les principales missions du commissariat, notamment celle d’assurer l’aide sociale des demandeurs de protection internationale ainsi que leur logement. En outre, le texte du projet de loi énonce explicitement quatorze missions « molles » de cet organe, qui vont de « aider les étrangers à s’intégrer à la vie sociale, économique, politique et culturelle de la collectivité luxembourgeoise moyennant notamment l’information,l’orientation et la formation » en passant par « mettre en place unmécanisme d’interaction entre la société d’accueil et les étrangers » à« mener des campagnes d’information et de sensibilisation ». Pour lamise enoeuvre de ses missions, l’Olai est chargé d’établir un Plan d’action national pluriannuel d’intégration (article 5) et, tous les cinq ans, de dresser un Rapport national sur l’accueil et l’intégrationdes étrangers, que le ministre remettra à la Chambre des députés.

Une des grandes nouveautés du texte est la mise en place d’unContrat d’accueil et d’intégration (Section 2, articles 7 à 13) qui seraproposé – et non pas imposé, comme il est lourdement souligné dans le texte – à tout étranger légalement établi au Luxembourg. Dans lecadre de ce contrat, l’Olai évaluera les compétences linguistiquesdes étrangers et leur proposera des cours de langues, mais aussi d’instruction civique et « d’intégration sociale ». Outre l’aberration de tels contrats introduits peu à peu dans toutes les relations du citoyen à l’État, le but en est clair : le gouvernement veut avoir un document qui lui permette de certifier à l’étranger son manque de volonté de s’intégrer. 

Ainsi, l’article 12 du projet de loi stipule clairement que le refusd’un tel contrat, ou le non-respect de son contenul’exclut de ses droits, avec un renvoi à l’article 157 de loi sur l’immigration2, qui prévoit le non-renouvellement du titre de séjour, voire l’expulsion !

Or, rien que cette mesure-là montre l’intention restrictive du projet de loi, qui vise sans conteste les immigrés pauvres, venant chercherun travail et une vie meilleure au Luxembourg. On voit mal un fonctionnaire du ministère de la Famille soumettre un tel contrat à Aditya Mittal, à un directeur de la filiale luxembourgeoise d’une grosse banque allemande ou à leurs épouses. 

Le Clae (Comité de liaison des associations d’étrangers) met d’ailleurs clairement en garde, dans son avis préalable : « Il ne faut pas oublier que les migrants travaillent généralement dans des secteurs contraignants, tels l’horeca et la construction et que pour certains, la formation scolaire de base est très faible », qu’il ne faut donc ni en demander trop, ni imposer des formations impossiblesà suivre pour des ouvriers aux heures de travail peu flexibles.D’ailleurs, c’est à se demander si le fait de travailler durant des années au Luxembourg, de payer ses impôts et de cotiser aux assurances sociales n’est pas une preuvesuffisante d’intégration.

À lire les portraits dans l’impressionnant catalogue de l’exposition deRetour de Babel, que le Clae vient de publier, on en vient à l’évidence que l’intégration se fait essentiellement par des droits. A fortiori des droits opposables. Ainsi, celui de la scolarisation de tous les enfants, quel que soit le statut légal des parents, nationaux,étrangers en situation régulière, demandeurs d’asile déboutés ousans-papiers, est un élément essentiel de cette intégration. 

L’introduction de l’éducation précoce sous le gouvernementJuncker/Poos fut sans conteste un pas de géant pour l’intégration.En outre, l’accès à un logement, de plus en plus difficile pour les ménages aux revenus modestes, mais aussi les droits sociaux sontdes accélérateurs d’intégration, tout comme le « droit de consommer » comme les autochtones, qui se fait par l’accès au pouvoir d’achat. Les ONG de défense des droits des étrangers n’ont pas la même approche en ce qui concerne l’adhésion aux « valeurs » du pays d’accueil : alors que le Clae plaide pour un apprentissagede telles valeurs, comme la laïcité des structures de l’État, lesnotions de démocratie et de participation politique et sociale, les droits humains ou les principes de l’égalité des chances, l’Asti (Association de soutien aux travailleurs immigrés) s’inquiète de l’établissement d’une « Leitkultur », culture dominante à l’exemple de la discussion qui eut lieu en Allemagne.

Dans leurs commentaires sur l’avant-projet de loi, le Sesopi-Centre intercommunautaire et la Caritas saluent le fait que le projet de loi définisse l’intégration comme un processus réciproque ou à double sens. Car, ce qu’aucun texte n’énonce, il faudra bien admettre un jour ou l’autre : l’identité luxembourgeoise n’est pas immuable, mais elle est en mouvement et perméable à toutes les influences exogènes, comme les médias, les habitudes et pratiques des pays voisins, mais aussi endogènes, comme celles qu’apportent les nouveaux citoyens ou les autochtones qui ont voyagé.

En 2007, le pays comptait 476 200 habitants, dont 41 pour centde non-Luxembourgeois, essentiellement originaires des pays d’Europe (Portugais, Français, Italiens, Belges…). Jusqu’à présent, les communautés immigrantes principales étaient blanches et catholiques. Mais, comme le note le projet de loi, non sans crainte, dans son exposé des motifs : « Le grand-duché de Luxembourg devra à terme se préparer à accueillir de plus en plus d’immigrés non européens venant de plus en plus loin, dont l’ethnie, la religion et la culture seront très différentes de celles de la population autochtone. L’arrivée de cette nouvelle génération d’immigrés rendra l’intégration et la cohésion sociale particulièrement difficiles et oblige les autorités politiques à adapter la législation nationale » (p. 10). Avant de concéder aussi que « l’intégration des étrangers dans la société luxembourgeoise est insuffisante ».

En effet, dans l’Index européen des politiques d’intégration des migrants, publié une première fois en septembre 2007 par le British Council et le Migration Policy Group3, le Luxembourg ne sesitue qu’au milieu des 28 pays analysés en ce qui concerne l’accès au marché du travail, la résidence de longue durée, l’accès à la nationalité et la non-discrimination. Si, pour la participation politique, les mesures prises pour les non-Luxembourgeois est considérée comme exemplaire (troisième place), le pays se classe en dernieren ce qui concerne le regroupement familial et les droits associés,parce qu’il ne s’agit pas d’un droit opposable mais d’une faveur que le pouvoir politique peut accorder ou refuser, à son gré.

1 En outre, le projet de loi prolonge le Comité interministériel à l’intégration, créé par la loi de 1993, réforme le Conseil national pour étrangers, dont le fonctionnement actuel ne satisfait plus personne, et rend les Commissions consultatives des étrangers, renommées « d’intégration », obligatoires dans les communes.

2 Cet article 157 dit, dans sa version actuelle : « (1) Lors de l’examen des demandes en renouvellement d’un titre de séjour ou en obtention du statut du résident de longue durée, ou lorsqu’il se propose de prendre une décision d’éloignement du territoire, le ministre prend en considération le degré d’intégration de l’étranger, y compris la connaissance d’une des langues prévues par la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues. »

3 L’Index peut être téléchargé sous www.integrationindex.eu. 

josée hansen
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