L’année du rat, la dernière publication de Gaston Carré est nombre de choses : un journal intime de la période de confinement au Grand-Duché, le témoignage d’un quotidien marqué par la pandémie et l’isolation, une série de réflexions sur la condition humaine en ce 21e siècle. Bref, l’auteur relève un défi considérable, n’hésite pas à s’adonner à un des sujets les plus difficiles qui soient, l’hyper-actualité. Or, l’audace seule ne suffit pas pour aboutir à un bon livre.
Retracer la catastrophe Le moment présent est un moment historique, l’humanité vivant ce qui est probablement la pandémie la plus importante depuis celle de la Grippe Espagnole. Compréhensible et bien répandu donc le désir de documenter, pour soi, ces temps instables, d’en garder la trace. Plus rare est cependant le fait de publier ces traces. Or, c’est bien cela qu’a fait Gaston Carré auprès des Éditions Phi, très peu de temps seulement après que le confinement ne soit levé. Et des traces, il y en a 34 ; 34 courts chapitres contenant des ruminations, des réflexions faites à partir des observations quotidiennes de cette période, que ce soit l’absence d’humains dans les rues de la capitale où le « ballet » des grues s’est « suspendu » ou la bonne mine du voisin qui sort chercher le journal libéré des impératifs du travail.
Constater que le miroir est vide Dans ces 34 textes, on retrouve le Gaston Carré de ses chroniques, un tantinet plus intimiste peut-être : l’érudition, le vocabulaire recherché, la culture, tout cela infuse non seulement le corps principal du livre, mais encore les quelques lignes qui à chaque fois les séparent tel un trou normand. Or, si, tout comme l’actualité du sujet, ces points constituent les atouts du livre, ils en sont aussi les tares. Car ce qui peut fonctionner pour une chronique est moins pertinent pour un livre : la généralité, voire la banalité des propos que, lors de la lecture rapide d’un bout de journal, l’étalage de références culturelles et d’un vocabulaire raffiné peut cacher, se révèle bien vite au fil des pages. Il est d’autant moins pardonnable que Carré semble manquer de courage, incapable de choisir entre le détachement de l’observation et l’intimité du journal, si bien que la réflexion n’est pas assez poussée pour revêtir un réel intérêt sur un plan philosophique ou du moins essayiste et que la subjectivité n’est pas assez présente pour qu’y puisse se retrouver ce singulier qui relève du littéraire. Il devient ainsi parfois difficile de ne pas voir derrière le déploiement de tant d’érudition de la pure et simple fatuité.
« Rien de grave hélas » Pire encore, l’urgence – séculaire et non pas artistique – du livre et de son sujet a probablement eu un impact négatif sur l’écriture. Car si le choix du vocabulaire est indéniablement à la hauteur de ce à quoi les lecteurs réguliers de Carré peuvent s’attendre, rythme et prosodie sont bien trop souvent maladroits, pénibles. Triste correspondance donc entre un artisanat qui n’est que travail de surface et une réflexion qui semble s’arrêter à l’évocation de références culturelles et intellectuelles. Ainsi, et voilà le problème principal de ce livre, il n’est pas conscient de rester en-deçà de sa propre ambition. En d’autres mots : ce n’est pas qu’il ne soit ni savant ni nuancé ni intelligent ; seulement, il ne l’est pas autant qu’il prétend et aspire à l’être.