Chatroulette

Boulevard des binettes

d'Lëtzebuerger Land du 18.03.2010

Chatroulette est un service de rencontres de hasard par webcams interposées lancé en novembre dernier par un jeune Moscovite. L’utilisation du site s’est propagée comme un feu de paille. Il compte aujourd’hui des centaines de milliers d’utilisateurs – il y aurait un demi-million de visiteurs par jour et 35 000 utilisateurs en moyenne à un moment donné – et fait l’objet de reportages sur des médias du monde entier, de CNN au Spiegel en passant par le New York Times. Rustique au possible, l’interface de Chatroulette affiche la webcam du correspondant anonyme au-dessus de celle de l’utilisateur, ainsi qu’une fenêtre de chat. Il s’agit d’une combinaison de services qui existent depuis belle lurette sur le Net : le chat avec des inconnus, que l’Internet Relay Chat rendait possible dès les débuts du réseau, et la vidéo conférence par webcam telle que Skype la propose depuis 2003. Chatroulette n’en est pas moins une innovation. Au-dessus des fenêtres affichant les webcam, des boutons permettent de « zapper » un correspondant ou de mettre en pause. Se servir de chatroulette, c’est entrer dans un univers étrange, assez brutal mais en même temps surprenant et rafraichissant. L’expérience s’apparente à une promenade sur une avenue bondée dans laquelle se bousculeraient des inconnus du monde entier, mais installés chez eux devant leur ordinateur. L’intimité soudaine en temps réel avec de parfaits inconnus a de quoi désarçonner, mais elle semble générer assez rapidement des comportements de dépendance. Le web bruisse de rencontres inopinées sur Chatroulette avec des « celebrities » telles que Kelly Osbourne, Nicole Richie ou Paris Hilton.

Dans un entretien au Spiegel, son in-venteur Andreï Ternovskiy se présente comme un nerd, qui considère l’école comme une perte de temps, se cultive sur Wikipedia, a mis deux jours pour écrire le code de Chatroulette et a réussi à convaincre ses parents d’investir leurs économies, 10 000 dollars dans le site lorsque celui-ci a commencé à avoir du succès. Mais il les a déjà remboursés : grâce à un bandeau publicitaire pour un site de rencontre affiché sur le site, celui-ci génère des revenus, et Ternovskiy explique que, de temps en temps, il rencontre son annonceur dans un restaurant à Moscou et reçoit une enveloppe remplie de billets. Il précise avoir engagé quatre programmeurs sur le web, l’un une personne résidant en Viriginie qu’il a connue il y a cinq ans en ligne, l’autre en Belarus, et avoir loué les ressources serveur directement sur le web, les paiements étant effectués en ligne. Le fondateur de Chatroulette affirme avoir reçu 200 emails d’investisseurs de la Silicon Valley et avoir été invité par Skype, contacté par Google, mais indique ne pas avoir l’intention de vendre son site.

Évidemment, Chatroulette attire son lot d’exhbitionnistes, de pervers, d’obsédés, de masturbateurs et de nazis en mal de provocation ou d’âmes sœurs. On y rencontre aussi assez souvent des groupes hilares – le site semble être devenu une distraction de fin de fête. Selon une analyse publiée cette semaine par Tech Crunch, « Chatroulette est mâle à 89 pour cent, américain à 47 pour cent et pervers à 13 pour cent ». Les États-Unis sont suivis par la France (15 pour cent), le Canada, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Pour régler leur sort aux pervers, les « freaks and fuckers », comme il les appelle, Ternovskiy dit travailler sur une solution. Il s’agit d’une fonction permettant de dénoncer les utilisateurs abusifs et des les exclure automatiquement du système au bout de trois dénonciations. Cette mesure a contribué à réduire la proportion des pervers, affirme-t-il. Sans doute ne faudrait-il pas non plus stériliser trop le site, car c’est aussi le caractère inattendu ou hors-normes de certains des utilisateurs croisés au fil qui contribue à son intérêt. Le site débouche parfois sur des rencontres dans la vie réelle, mais elles semblent très peu nombreuses.

Jean Lasar
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