Exposition

Por Figura Libre

d'Lëtzebuerger Land du 18.09.2020

Le titre, ci-dessus, est choisi en souvenir, si non è vero, è bene trovato, de tel soldat portant un toast à l’indépendance cubaine, nous sommes au seuil du vingtième siècle (loin encore de la révolution de son milieu). L’exposition d’Imi Knoebel, à la galerie Bärbel Grässlin, à Francfort, s’intitule, elle, und was machst du, prolongeant en quelque sorte l’interrogation de celle qui l’a précédée, à la fin de l’année 2019, à la galerie Ropac, à Paris, was machen Sie denn, interrogation faite de surprise, d’étonnement, voire de recul indigné, devant tant de liberté déjà. Et ce qui s’était donc annoncé, le voici poursuivi, accentué, exacerbé. Imi Knoebel en toute liberté, avec la même radicalité qui a toujours caractérisé la démarche de l’artiste.

Foin de la rigueur, d’une géométrie éprise d’orthogonalité jadis et naguère, foin de même de la réduction des couleurs, aux heures extrêmes, au noir et blanc, aux tons des panneaux durs, de l’oxyde de plomb, fini le minimalisme. La peinture, déjà avant, peut-être plus encore pendant les mois de pandémie, s’est faite rebelle, il se peut toutefois que cela ne tienne simplement qu’à l’esprit chercheur, expérimentateur, d’Imi Knoebel, poussé toujours plus loin, poussant son art dans ses derniers retranchements.

Il suffit d’une demi-douzaine d’œuvres pour nous en convaincre ; en plus, de la sorte, elles ont de quoi se déployer, de profiter du fond blanc autour, et elles en ressortent autant comme des sculptures, avec leurs supports d’aluminium qui se détachent, que comme des peintures. Il n’en faut pas plus pour faire vibrer, pour faire vivre une salle, lui donner du rythme, formes et couleurs aidant, et en même temps transmettre plus et mieux qu’une bonne humeur. La nouvelle manière d’Imi Knoebel se situe décidément du côté des plaisirs, à ceux de l’esprit se sont joints ceux des sens.

Les formes sont celles d’organismes, plus aucun angle, plus rien de saillant, rien que des courbes, des rondeurs. Telles des amibes, protozoaires flottant aux murs, agrandis outre mesure. Autre image possible : des îles avec leurs baies, et l’on se rend vite compte qu’il n’est pas de limite à notre imagination. Pour un peu, on verrait ces corps bouger, pour le moins tourner, tournoyer, mettre en question leur adjonction côte à côte. S’il est une légèreté dans leur propre apparence, elle est avivée encore par la juxtaposition est lignes irrégulières.

Jamais non plus, Imi Knoebel n’a été aussi loin dans l’emploi des couleurs, dans leur expressivité. Cela va des tons pastel, d’une belle fraîcheur, doux et clairs, à une densité, une compacité quasi nuiteuse. Ailleurs, les peintures sont parcourues de parties très colorées, de vif éclat, auxquelles il arrive de dessiner comme un chemin à suivre, elles se tiennent sur les bords, s’aventurent des fois au centre, s’incrustent de façon moins ordonnée. Le geste pictural est énergique, fougueux, les couches ou strates de peinture acrylique donnent de l’intensité, elle est ardente, radieuse.

À la limite, face à ces figures diverses, n’est-il pas à un certain moment opportun, voire logique, de penser à des palettes, ces outils qui normalement servent à disposer les pâtes colorées avant leur utilisation. Les voici de taille gigantesque, faites d’aluminium et disposées à une simulation de profondeur, de troisième dimension. Elles en sont devenues le lieu même de l’exercice multiple, sans cesse renouvelé de l’art. D’un art de juste milieu entre une improvisation échevelée et un contrôle, une maîtrise de bon aloi.

Imi Knoebel, und was machst du, exposition à la galerie Bärbel Grässlin, Schäfergasse 46 B, Frankfurt am Main, ouverte jusqu’au 10 octobre 2020. www.galerie-graesslin.de

Lucien Kayser
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