La bibliothèque du CID-femmes

Intellectuelles de tous les pays...

d'Lëtzebuerger Land du 19.07.2001

"Féministe ? Moi ? Certainement pas !" était la réaction offusquée de la majorité des artistes femmes lors d'une table-ronde sur le statut des femmes créatrices au Luxembourg, organisée le 19 septembre 2000 au Casino Luxembourg dans le cadre de l'exposition Entre femmes. Si pour les artistes plus âgées, une approche du genre ne semblait vraiment pas avoir été un sujet, ce qui étonnait le plus, c'était la réaction des plus jeunes artistes, qui ne voulaient surtout pas se faire repérer en tant que femmes, mais exister, survivre sur un marché qui serait asexué. Parce qu'elles seraient "aussi bien que les hommes" et ne se définiraient surtout pas par leur sexe. Or, et en cela seule la cinéaste Bady Minck était assez politisée pour le mettre en exergue, dans la culture comme dans tous les autres domaines, les femmes restent largement sous-représentées dès qu'on entre dans les sphères du pouvoir.

Les temps sont antiféministes, le Spiegel de cette semaine consacre même son dossier de couverture au sujet. Ils le sont aussi au Luxembourg, où les parties réunies pour discuter de pensions, majoritairement constituées par des hommes d'un âge certain, viennent de décider d'accorder une prime mensuelle pour chaque enfant qu'une femme retraitée aura élevée en restant au foyer. Une mesure discriminatoire, pas forcément sociale - et les femmes qui ont dû aller travailler parce qu'un salaire ne suffisait pas ou parce qu'elles élevaient seules leurs enfants? - et antiféministe, car non égalitaire.

Lors des débats sur Lady Rosa of Luxembourg, les femmes furent souvent attaquées des jurons les plus bas, les féministes qui prenaient ouvertement la défense de Sanja Ivekovic traitées de tous les noms par de vieux messieurs aigris. Au parlement, les questions du genre ne sont plus guère thématisées; depuis l'accord de coalition de 1999, le ministère de la Promotion féminine a perdu en moyens et en visibilité.

Tout se passe comme si dans cet univers morose, le Cid-femmes (Centre d'information et de documentation des femmes) faisait de la résistance. Créé en 1992, à l'initiative de quelques féministes militantes, le Centre pourra fêter ses dix années d'existence l'année prochaine avec la fierté de devenir de plus en plus professionnel. En 1995, le Cid-femmes a signé une convention avec le ministère de la Promotion féminine, qui a fortement augmenté ses subsides l'année dernière. Ce qui a permis d'augmenter les heures de travail ainsi payées de cinquante à 110 heures; soit l'augmentation de l'équipe existante (quatre postes) de trois nouvelles collaboratrices, une bibliothécaire (Nathalie Schunck), une responsable des relations publiques (Joëlle Schwinnen) et une responsable des questions politiques (Christa Brömmel). Depuis lors, le Cid-femmes peut augmenter sa visibilité et prend régulièrement position sur des questions politiques - femmes et immigration par exemple, la question des femmes lors de la procédure de régularisation - ou encore concernant la dignité des femmes, pour chasser le sexisme de la publicité ou autres représentations publiques de femmes. Comme si le militantisme survivait dans cette cellule privilégiée.

Il est vrai qu'il faut savoir que le Cid-femmes existe, seule une petite sonnette avertit de sa présence au quatrième étage d'un immeuble cossu de la rue Beck, en plein centre ville. Pourtant, il s'y trouve un bibliothèque spécialisée en libre accès forte de quelque 9300 livres, 2300 disques, 1200 partitions de compositrices - la découverte du fonds Helen Buchholtz l'année dernière avait attiré l'attention publique sur cette spécialisation, due avant tout au travail exemplaire de la musicologue Danielle Roster - et une cinquantaine de revues spécialisées. Qui se nomment, au hasard, Koryphäe (Medium für feministische Naturwissenschaft und Technik), Die Philosophin; Lunes (réalités, parcours, représentations de femmes), Clio (histoire, femmes et sociétés) ou European Journal of Women's Studies. D'autres encore sont consacrées à la vie lesbienne ou aux droits des femmes. Mais on cherchera en vain les Brigitte, Cosmopolitan, Frau mit Herz et autres Maisons et Jardins. 

Alors, comment se font les choix pour les acquisitions ou abonnements ? "En ce qui concerne les questions ayant trait aux femmes en politique, il n'y a guère de problèmes, les ouvrages sont souvent relativement féministes, estime Françoise Wagner du Cid-femmes. Mais dès que nous allons dans les rayons comme la santé ou la grossesse, il faut faire des choix conséquents. Nous essayons de choisir les ouvrages qui ont une approche féministe et progressiste." Dans les pays anglo-saxons, les librairies ont des étagères entières consacrées aux Women's Studies ou Gender Studies, en Allemagne, la Humboldt-Universität de Berlin leur a consacré un cycle universitaire. Au Luxembourg, cette désignation n'existe guère.

En dehors du Cid-femmes bien sûr. Actuellement, Joëlle Schwinnen est en train de collecter, de saisir et d'analyser les articles parus dans la presse luxembourgeoise sur tout ce qui a trait aux femmes. Avec le temps, cela constituera un fonds à exploiter par des chercheuses ou des chercheurs. Aujourd'hui déjà, des lycéennes viennent souvent consulter le Cid-femmes pour faire un portrait de telle ou telle femme.

L'élargissement de l'équipe du Cid-femmes avait aussi un désavantage: plus de femmes ont plus d'idées, les groupes de travail dans les différents domaines pullulent d'initiatives, mais les moyens manquent toujours cruellement. Ainsi, quelque 1000 livres pédagogiques (initiative Mädchenfreundliche Literatur) ont bien pu être acquis en 2000 avec un budget extraordinaire alloué en fin d'année par le ministère de la Promotion féminine. Mais cette année, 2001, il n'y avait plus que 100.000 francs disponibles pour l'acquisition de livres. Une somme dérisoire que le Cid veut augmenter en partant à la recherche de sponsors privés. Les manifestations culturelles - expositions, concerts, samedis découverte etc. - organisées par ou au Cid-femmes permettent de conquérir de nouveaux lecteurs et lectrices. En 2000, ils étaient 823 à emprunter 1861 ouvrages.

Afin de rationaliser et mieux cibler les acquisitions, des groupes d'expertes bénévoles analysent actuellement les différents rayons pour détecter les failles et proposer des listes d'ouvrages à acheter prioritairement et éventuellement réorganiser les classifications. En littérature, par exemple, il suffit qu'une femme ait écrit le roman; pour les livres thématiques, le sexe de l'auteur(e) n'est pas primordial, c'est l'approche féministe du contenu qui sera prépondérante. 

La catalogage du fonds du Cid-femmes se fait avec le programme Elica (Electronic library catalogue) développé au Centre de recherches public Henri Tudor ; un système d'entrées multiples par mots-clés doit rend la bibliothèque exploitable. Encore réservé au seul personnel actuellement, qui est néanmoins disponible pour aider les lecteurs et lectrices à trouver des ouvrages sur un thème spécifique, le catalogue électronique devrait pouvoir être accessible en ligne dans le moyen terme, sur le site Internet que le Cid-femmes est en train d'élaborer. 

Par contre, Elica n'est pas compatible avec Aleph, le nouveau logiciel de catalogage et de recherche de la Bibliothèque nationale; donc il ne pourra pas rejoindre le catalogue général qui regroupe les plus grandes bibliothèques luxembourgeoises dans une base de données commune. Or, l'approche féministe d'un thème d'ordre général, voire de spécialisation, ouvre souvent de nouveaux horizons.

 

Cid-femmes, 83-89, Grand-Rue, entrée: 14, rue Beck ; BP 818 ; L-2018 Luxembourg; téléphone: 24 10 95; fax  24 10 79; e-mail: cid.femmes@ci.adm.lu. Horaires d'ouverture: du mercredi au vendredi de 10 à 18 heures, mardi: de 14 à 18 heures; samedi de 10 à 13 heures. La carte de membre, qui donne entre autres accès aux prêts de livres et de disques, coûte 15 euros.

 

 

 

josée hansen
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