Basso de March, Serge: Contre-marges

Les sites du silence

d'Lëtzebuerger Land du 31.08.2006

La poésie de Serge Basso de March (par ailleurs directeur de la Kulturfabrik) est l'expression d'une sensibilité au bruissement intérieur qui est à l'origine même de l'écriture. Il s'agit de ces questions existentielles qui taraudent l'esprit et qui viennent s'écrire dans le texte et dans la vie. Les questions s'emparent de l'être et font de lui son objet. Le sujet devient objet. Cette inversion par quoi le sujet n'est plus que pure conscience de ce qui advient se lit chez le poète: "je reste suspendu aux questions qui m'écrivent". On comprend dès lors que le lyrisme du poète n'est pas exaltation d'un "je" hypersensible mais l'expression d'une acuité sensorielle qui lui permet d'être à l'écoute du silence qui s'insinue dans les interstices et dans les craquelures de l'être. Ainsi entendue, la poésie se mue en mode de lecture d'un monde qui donne vue sur les sites du silence. Tout porte à croire que sous le voile du réel se tapit un monde fantasmagorique, irréel, comme celui que Victor Hugo décelait sous le visible. Serge Basso de  March écrit: "Tous les jours / en ouvrant ma fenêtre / sur l'avenue passante des passions et des êtres / je contemple mes doubles // Souvent je me fais peur". Pourtant, il n'est pas rare que la poésie se fait moyen d'apprivoiser cela qui se dérobe à notre entendement, de domestiquer l'inconnu: "La mort est un vieux chat sur un radiateur". Rasséréné de la sorte, le monde du poète peut s'ouvrir à l'euphorie du voyage et du transport dans toute la polysémie que donne la langue à ces termes. Relisons: "Ton sourire / j'y vole / aux papilles du temps / la tendresse des lèvres… // De ta bouche à tes reins / j'ai pris goût aux voyages". Ainsi donc ce qui fait défaut, "ce manque éternel" n'entrave pas le cours de la vie dont le sens réside peut-être dans ces petits riens que la poésie de Maurice Carême a su célébrer. Peut-être que tout tient à ces riens comme: "La vaisselle dans l'évier / les amis à table / le pain quotidien / la vie reprend tous ses droits // La mort garde toutes ses prérogatives". Ce passage insinue sans doute que la poésie / la vie est faite de cette proximité entre l'être et le néant, entre la chose et sa négation.

Serge Basso de March: Contre-marges, poèmes avec des illustrations d'Annabel Olivier; Collection Graphiti des éditions Phi; Luxembourg, 2006; 94 pages; ISBN: 2-87962-211-5

 

Jalel El Gharbi
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