Apple

Apple joue au monopoliste

d'Lëtzebuerger Land du 17.02.2011

Les profits générés par Google en plaçant des publicités sur des pages web que le moteur de recherche indexe et cite partiellement sur ses pages de résultats ou d’actualités ont souvent fait grincer des dents : Google profite de façon éhontée du travail d’entreprises journalistiques, affirmaient certains éditeurs de journaux, notamment ceux de Belgique qui ont traîné le géant du Net devant les tribunaux pour infraction à la législation sur les droits d’auteur.

Mais avec l’annonce coup sur coup cette semaine de modèles d’abonnement à des contenus en ligne d’abord par Apple puis par Google, on a pu se rendre compte que le modèle de Google est plutôt modéré et prévisible, du moins en le comparant à celui annoncé par le créateur de l’iPhone et de l’iPad. Ce dernier s’adjuge une tranche de 30 pour cent sur les revenus générés par des abonnements contractés depuis ses appareils. Certains éditeurs, qui attendaient cette annonce avec anxiété compte tenu du poids croissant des terminaux d’Apple dans le monde, ont estimé s’en être relativement bien tirés et ont poussé un ouf de soulagement.

Toutefois, au plus tard lorsque le lendemain le CEO de Google, Eric Schmidt, de passage à l’Université Humboldt à Berlin, a présenté le système de paiement « One Pass », qui se contente de 10 pour cent de commission, ils ont dû se sentir grugés. One Pass est disponible pour l’instant aux États-Unis, au Canada, en France, en Italie et au Royaume-Uni. En Allemagne, trois éditeurs, dont Axel Springer AG, ont indiqué vouloir utiliser One Pass. « Nous ne sommes pas sur ce créneau pour gagner de l’argent. Google gagne de l’argent par d’autres moyens. Nous essayons de procurer de l’argent aux gens qui produisent des contenus de haute qualité », a expliqué, bon prince, Eric Schmidt.

Même si l’on est en droit de ne pas prendre cette affirmation du CEO de Google pour argent comptant, il faut reconnaître qu’il n’a aucun mal, dans ce contexte, à se donner le beau rôle. La commission qu’entend s’adjuger Apple fait peut-être soupirer d’aise ses actionnaires, à l’aune des conditions du service proposé par Google, elle dénote clairement un comportement de monopoliste. Ce que craignent le plus les éditeurs, s’est emporté le magazine en ligne TechCrunch (propriété depuis peu du Huffington Post et, par ce biais, d’AOL), c’est qu’à l’avenir Apple se montre encore plus gourmand. « Le refrain que j’ai entendu le plus de la part des initiés du milieu des éditeurs, c’est ‘comment savons-nous que l’an prochain Apple ne prendra pas 50 pour cent?’ », a rapporté son journaliste Erich Schonfeld. Il reconnaît qu’avec le succès fulgurant de ses deux terminaux grand public qui l’ont propulsé au top du classement des producteurs d’ordinateurs portables, Apple bénéficie d’un formidable parc de clientèle captive, autant de lecteurs potentiels des contenus en ligne que la plupart des éditeurs cherchent en vain, depuis des années, à monnayer en ligne. L’existence d’un système de paiement natif est évidemment aussi un puissant argument en faveur d’Apple. Pour calmer les craintes des éditeurs, Apple aurait cependant intérêt à leur garantir que la tranche de 30 pour cent qu’il prend sur le montant des abonnements restera inchangée pendant, mettons, trois ans, a suggéré Schonfeld.

Google fait mieux qu’Apple sur un autre plan : celui du partage des informations relatives aux abonnés. Dans le cas d’Apple, il s’agit de données qu’il conservera pour lui, sans rien en communiquer aux éditeurs : il faut dire qu’il s’agit, sur un strict plan commercial, d’un trésor de marketing. Avec le One Pass de Google, une partie au moins de ces données leur sera transmise, ce qui correspond au souhait de beaucoup d’entre eux qui estiment devoir connaître le profil de leurs lecteurs pour mieux les servir.

Certains se demandent si Apple n’en fait pas trop en profitant ainsi de manière éhontée du succès de l’iPad. D’autres tablettes beaucoup moins chères arrivent sur le marché, en partie dans le cadre d’offres formulées par des opérateurs, et pourraient rééquilibrer ce marché aujourd’hui dominé par Apple. « Apple se comporte comme un enfant gâté et j’espère qu’ils vont se prendre une gifle », a lancé un commentateur sur TechCrunch.

Jean Lasar
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