Facebook

Valorisation stratosphérique

d'Lëtzebuerger Land du 03.02.2011

En accueillant de nouveaux actionnaires, Facebook s’installe lentement mais sûrement dans le paysage boursier américain. À chaque étape, la valeur du réseau social augmente un peu plus. À près de 83 milliards de dollars, Facebook vaut aujourd’hui plus qu’Amazon, valorisé à quelque 77 milliards après une saison de Noël très fructueuse. Au palmarès des sociétés dont le succès repose sur le Web, Facebook n’est précédé que par Google, à 192 milliards. Il y a quelques semaines, à l’occasion d’un placement d’actions Sachs d’un montant de 1,5 milliard de dollars mené par la banque Goldman, Facebook ne valait « que » 50 milliards de dollars.

Impossible cependant pour l’instant de commander des actions Facebook à son banquier comme on achèterait des valeurs phares du CAC40 ou du Dax : ses titres sont traités sur un marché secondaire, SharesPost, et ne sont donc pas facilement accessibles.

Facebook continue d’attirer de nouveaux utilisateurs. On s’accorde à dire qu’il y a en a plus de 500 millions, certains parlent aujourd’hui de 650 millions. Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, notamment parce qu’il est pratiquement impossible de savoir combien de ces utilisateurs sont « dormants ». Mais la croissance persistante du réseau ne fait guère de doute. Ce n’est certainement pas son chiffre d’affaires de l’an passé qui fait rêver les investisseurs, avec 1,86 milliard de dollars en 2010, grâce à des publicités en ligne affichées sur ses pages et servies par Microsoft. Un chiffre à mettre en regard des ventes d’Amazon l’an dernier, qui ont totalisé 34,2 milliards de dollars.

Ce qui suscite l’enthousiasme des financiers chez Facebook, c’est donc le potentiel qu’ils continuent de lui reconnaître en tant que dépositaire d’une quantité phénoménale de données personnelles mises à jour à chaque heure et à chaque minute.

Pour l’instant, avec moins de 500 ac-tionnaires, Facebook n’est pas obligé de publier de résultats financiers. Mais l’on s’attend à ce que ce seuil soit franchi d’ici la fin de l’année. La publication de comptes trimestriels est prévue à partir du mois d’avril de l’an prochain, et une introduction en bourse en bonne et due forme devrait logiquement intervenir en 2012 ou peu après.

Alors que posséder une page Facebook est en train de devenir une sorte de must partout là où Internet est acces-sible, c’est donc une situation assez paradoxale qui risque de s’installer si Facebook devient une société cotée et se met sous la pression des marchés financiers pour améliorer ses résultats. Les revenus de Facebook proviennent des publicités placées sur ses pages, mais l’on s’accorde à dire que le principal gisement réside dans les accords de partenariat commercial que le réseau social passe ou passera avec divers autres intervenants et qui valorisent les données personnelles confiées par ses utilisateurs.

Si Facebook devient un blue chip et convainc directement ou indirectement ses utilisateurs de devenir actionnaires, ceux-ci auront donc un intérêt en tant qu’actionnaires à voir leurs données, et celles de tous les autres utilisateurs, commercialisées à qui mieux mieux sous forme de bases de données pour départements de marketing. C’est une perspective quelque peu effrayante, surtout eu égard au manque de scrupules dont la société de Mark Zuckerberg a fait état ces dernières années en matière de respect de la sphère privée. À l’ère des réseaux sociaux, l’investisseur, traditionnellement plutôt discret et frileux, pourrait se retrouver à encourager Facebook à étaler sur Internet ses goûts personnels et occupations quotidiennes.

Mais même d’un strict point de vue financier, et en supposant que les futurs utilisateurs-actionnaires s’accomoderont de ce paradoxe, il reste à voir si le potentiel prêté à Facebook n’est pas exagéré. Contrairement à Google, Amazon ou eBay, qui réalisent d’ores et déjà des transactions publicitaires et commerciales totalisant des dizaines de milliards de dollars, le modèle de Facebook est fermement ancré dans la gratuité. Les accords de partenariat commercial de Facebook peuvent faire rêver les marchés, ils restent pour l’instant des châteaux en Espagne.

Jean Lasar
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