Baba cool et les paradis fiscaux

À l’ombre de la Cité judiciaire et de la cathédrale

d'Lëtzebuerger Land du 03.06.2016

„It never rains in Southern California“, chantait ­Albert Hammond dans les années 70. Ce qui semble vrai pour le paradis baba cool vaut également pour les paradis fiscaux. Les photographes Gabriele Galimberti et Paolo Woods viennent de publier, sous le titre Les Paradis. Rapport annuel, un livre de photos sur les paradis fiscaux dans le monde. On y découvre des îles ensoleillées, des palmiers, des gens posant fièrement dans leur luxe aseptisé et le dorénavant fameux conducteur de jetpack, mais jamais une seule goutte de pluie.

Les auteurs s’efforcent de montrer la face cachée des milliards entreposés aux Îles Caïmans ou à Singapour, au Delaware ou au Panama : les tristes gardiens des interminables batteries de boîtes aux lettres, les nettoyeurs de piscines disponibles 24 heures sur 24 et les serveuses effacées des flamboyants dirigeants de fiduciaires. Évidemment, la quadrichromie et le papier glacé esthétisent même la misère ou les graphiques sur l’inégalité de la distribution des richesses et les explications du journaliste Nicholas Shaxson.

Il est vrai qu’au Luxembourg, il pleut beaucoup. Cela peut expliquer que – abstraction faite d’un portrait grandeur nature d’Antoine Deltour avec son air d’être éternellement dépassé par les évènements – le Luxembourg n’est représenté que par une seule photo dans ce luxueux album de famille des paradis fiscaux. Elle montre au contrejour les silhouettes de deux hommes devant leurs ordinateurs portables au dernier étage de l’hôtel Sofitel boulevard d’Avranches. Les deux « Helden der Neuzeit » décrit par Heiner Müller dans Mommsens Block, sont assis au pied d’énormes vitres qui donnent sur la Cité judiciaire et la cathédrale en arrière-plan.

Une seule photo peut paraître injuste par rapport au poids du grand-duché dans l’industrie mondiale de l’ingénierie fiscale. Mais en réalité, elle montre tout : Au Luxembourg, il n’y a pas de palmiers, presque pas de grands capitalistes, mais une bourgeoisie comprador et ses milliers de petites mains qui travaillent discrètement à l’ombre de la Cité judiciaire en carton-pâte et de la cathédrale, deux symboles de la bigoterie généralisée en matières économiques.

Paolo Woods, Gabriele Galimberti : Les Paradis. Rapport annuel. Paris, Delpire, 2015, 205 p., 49 euros
Romain Hilgert
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