Fournisseurs d‘accès à Internet

La Cour précise la responsabilité

d'Lëtzebuerger Land du 11.04.2014

C’est un arrêt qui fera date et qui précise la responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet lors de téléchargement illégal. La Cour de justice de l’Union européenne a estimé, le 27 mars, qu’un fournisseur d’accès à Internet (FAI) pouvait se voir ordonner de bloquer l’accès à un site internet qui porte atteinte au droit d’auteur. Sans pour autant devoir « filtrer » le contenu en ligne afin d’éviter toute violation du droit d’auteur, ce qui ne fait pas peser sur lui un coût disproportionné pour ce faire.

L’affaire a été portée devant les juges européens de Luxembourg par l’Oberster Gerichtshof, la Cour suprême autrichienne. Le litige initial oppose le fournisseur d’accès UPC Telekabel Wien à l’entreprise allemande Constantin Film Verleih, qui détient les droits des films Vic le Viking et Pandorum, et à l’entreprise autrichienne Wega Filmproduktionsgesellschaft, qui détient les droits du film Le ruban blanc. Ces deux sociétés de production ayant constaté que le site kino.to diffusait des films de leurs catalogues sans leur autorisation avaient obtenu de la justice autrichienne une injonction à Telekabel de bloquer l’accès à ce site.

Même si kino.to a dû cesser son activité en juin 2011, Telekabel a contesté cette décision estimant qu’il n’entretenait aucune relation commerciale avec les exploitants de ce site et récuse la qualification « d’intermédiaire » utilisée par la justice autrichienne. Il ajoute que certaines des mesures de blocage sont coûteuses et que l’injonction qui lui a été imposée constitue une violation de la liberté d’entreprise

reconnue par les droits fondamentaux européens. L’Oberster Gerichtshof demande donc à la Cour de justice d’interpréter la directive de l’Union sur les droits d’auteur ainsi que les droits fondamentaux reconnus par le droit de l’UE, dont celui d’entreprendre. Cette directive 2001/29 prévoit la possibilité, pour les titulaires de droits, de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à leurs droits.

La Cour confirme en premier lieu qu’un fournisseur d’accès qui […] permet à ses clients d’accéder à des objets protégés mis à la disposition du public sur Internet par un tiers est un intermédiaire au sens de l’article 8 de la directive dont les services sont utilisés pour porter atteinte à un droit d’auteur. Et comme il participe à la violation du droit d’auteur en ligne, il est légitime qu’il lui soit demandé d’empêcher cette activité illégale par le blocage de certains sites Internet.

Contrairement aux précédents arrêts Scarlett Extended et Sabam, qui interdisaient à un juge d’imposer à un FAI de mettre en place un système de filtrage de son propre chef, car la mesure était disproportionnée, la situation est différente ici. Le blocage d’accès à des sites Internet illégaux est demandé, via la justice, par les détenteurs de droit d’auteur, victimes de piratage.

Néanmoins, les juges donnent en partie raison à Telekabel en ce qu’ils précisent que le blocage ne doit pas se faire aux dépens du droit à la liberté d’entreprise du FAI et du droit à l’accès licite aux informations pour les utilisateurs. Le FAI peut en effet choisir les mesures qu’il mettra en place pour bloquer ou limiter l’accès au site incriminé : une injonction de blocage ne doit pas prescrire de moyens particuliers pour ce faire. Il peut être exonéré de toute responsabilité et d’astreinte s’il prouve qu’il a pris « toutes les mesures raisonnables » pour bloquer ou limiter l’accès. C’est au juge national de vérifier au cas par cas que ces principes fondamentaux sont bien respectés.

Sophie Mosca
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