Ruée vers les pétitions publiques électroniques

La démocratie est un sport de combat

d'Lëtzebuerger Land du 11.04.2014

En coulisses, dans les services du Parlement, c’est la panique depuis lundi 7 avril, depuis que la première pétition publique enregistrée par la Chambre des députés fut ouverte à la signature. C’est la pétition n° 329 du rôle des pétitions, elle fut soumise par Sven Clement, le président du Parti pirate et son intitulé est : « Garantir l’indépendance des étudiants face à des réformes du système d’aide financière ». Il y demande une augmentation de la bourse de base par rapport au projet de réforme du système d’aide financière du ministre Claude Meisch (DP), mais aussi la garantie de l’autonomie des étudiants vis-à-vis de leurs parents ou l’augmentation du personnel du service du Cedies, qui gère les bourses. Que sa pétition fasse figure de test est aussi en partie voulu par le pétitionnaire : « Bien sûr que je voudrais que le débat sur les bourses soit porté au Parlement, dit-il vis-à-vis du Land. Mais je voulais aussi mesurer le sérieux de cette nouvelle initiative des e-petitions de la Chambre des députés ».

Lorsque le Président de la Chambre des députés, Mars Di Bartolomeo (LSAP) et le président de la commission des Pétitions, Marco Schank (CSV, le président de cette commission est traditionnellement un député de l’opposition) présentèrent le nouveau système des pétitions publiques, le 20 mars, celle de Sven Clement était déjà sur leur bureau depuis une semaine, le système avait été installé en catimini sur le portail Internet chd.lu. Elle a ensuite pu suivre les différentes étapes prévues par la nouvelle procédure : publication en ligne sur le rôle des pétitions, analyse par la commission des Pétitions (le 25 mars), qui donna un avis favorable, puis par le Conférence des présidents (le 27 mars), et ouverture à la signature publique électronique ce lundi. En quatre jours, quelque 2 500 personnes (de plus de quinze ans et toutes enregistrées au registre national des personnes physiques) l’ont signée. Sven Clement, qui est actuellement à l’étranger, compte doubler ses efforts de communication autour de son projet par les réseaux sociaux à son retour, mais il n’y a guère de doute qu’elle atteindra les 4 500 signatures en six semaines nécessaires pour que la pétition soit réévaluée à la commission des Pétitions, qui lui donnera les suites qu’elle jugera nécessaires. Ça peut aller de l’audition du pétitionnaire, avec le ministre et / ou les commissions parlementaires en charge jusqu’à une discussion publique en commission en présence de la presse et retransmise par Chamber.tv et par Internet.

« Ce que je veux avant tout, c’est que le Parlement redevienne le lieu par excellence où sont discutés les sujets politiques d’intérêt national », affirme son président Mars Di Bartolomeo. Nous voulons rapprocher les citoyens de la Chambre des députés et nous nous sommes donné comme mot d’ordre une plus grande participation politique, donc nous devons aussi nous en donner les moyens. Et les pétitions publiques sont un des instruments à notre disposition. » Il estime qu’il n’y a pas encore eu de raz-de-marée de nouvelles pétitions ; néanmoins, une quinzaine ont été soumises en quinze jours. Avec parfois des intitulés qui peuvent sembler folkloriques – « pour la révision de la hauteur des trottoirs et ajustement de cette hauteur » (Yves Rossi, 21 mars) ou « géint Zäitëmstellung » (Eric Henn, 20 mars) –, et de grands thèmes politiques récurrents : pour la protection des animaux, contre le projet du tram, contre l’ouverture du droit de vote aux élections législatives aux non-Luxembourgeois (soumis par le conseiller communal ADR de Pétange Joé Thein) ou contre l’introduction de l’homoparentalité (voir page 6). Toutes seront automatiquement publiées sur le site de la Chambre, la saisie est très facile – peut-être même trop facile, les intitulés étant parfois tellement vagues que les services du Parlement ont dû demander aux auteurs de préciser leur pensée.

Et il y a des redites, par exemple concernant la réforme des bourses d’études, pour laquelle Christophe Knebeler, secrétaire général adjoint du LCGB, a déposé, le 1er avril, une deuxième pétition revendiquant notamment l’augmentation de la bourse de base ; elle a été déclarée recevable et attend d’être ouverte à signature (une attente qui a surtout des raisons techniques de mise en place). En parallèle, l’Union nationale des étudiant/e/s (Unel) a lancé une pétition électronique sur un site spécialisé hors Parlement, avec des revendications similaires, qui a dépassé la barre de 4 000 signataires en quelques semaines. Redondances ? « Je n’y vois aucun problème, réagit Mars di Bartolomeo, s’il y a plusieurs demandes sur un même thème, on pourra les traiter ensemble, en une seule réunion et répondre à toutes les questions des pétitionnaires. » Marco Schank, lui aussi, se veut optimiste et ouvert à l’expérience : « Nous ne devons pas avoir peur de notre propre courage sur cette question, tempère-t-il. Attendons voir ce qui nous arrivera... » Dans sa première réunion sur le sujet, le 25 mars, la commission qu’il préside s’est effectivement montrée extrêmement magnanime en acceptant six nouvelles pétitions publiques telles quelles, alors que trois autres nécessitaient des clarifications des revendications. Depuis la dernière réunion, quatre nouvelles pétitions ont été soumises via le site de la Chambre des députés.

Une fois ouverte à la signature, une pétition publique se voit également ouvrir un forum de discussion, sur lequel des internautes intéressés peuvent poser des questions ou participer au débat, modéré par le personnel de la Chambre. Tout se passe comme si, dans sa volonté de se montrer populaire, la vénérable institution se rapprocherait aussi des médias populistes comme les forums de discussion des grands médias, wort.lu ou rtl.lu, comme si elle balançait sur la corde raide entre ouverture et démagogie. Mars Di Bartolomeo ne le voit pas du tout de cet œil : « D’abord parce que chez nous, on ne peut propager de discours haineux en se cachant derrière l’anonymat : tous ceux qui réagissent doivent s’identifier avec une adresse e-mail et leur numéro de matricule de la sécurité sociale. Et puis, pour que nous analysions une demande plus en avant, il faut que le thème rallie 4 500 personnes, ce n’est pas rien... Rares sont les discussions sur les forums qui mobilisent plus de mille personnes ! » Le Bundestag allemand, grand modèle pour les pétitions publiques luxembourgeoises, reçoit en moyenne quelque 18 000 nouvelles pétitions électroniques par an.

josée hansen
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