Feuilleton Bommeléert

Befehlsgehorsamkeit

d'Lëtzebuerger Land du 03.02.2012

Il y a des mots qui résonnent comme des métastases cancéreuses de la langue. Il vaudrait mieux les exciser que les nourrir par des paroles cancérigènes pour notre démocratie.

Et pourtant ! Un tiers de siècle après l’affaire du siècle, nous aurons, après avoir changé de siècle, le procès du siècle. C’est du moins ce que nous promet l’avocat d’un des accusés du feuilleton Bommeléert qui, fidèle à son habitude, éructe dans le Tageblatt : « E renvoi arbitraire vun engem procès idiot ! » Les gros mots ne font pas forcément les gros arguments, mais que voulez-vous, l’homme semble être une parfaite illustration clinique du fameux syndrome de Gilles de la Tourette, une affection neuropsychiatrique qui fait compulsivement éjaculer aux malades des injures à rendre jaloux même un capitaine Haddock.

Les arguments qu’aboie l’homme de loi laissent cependant pantois et revoient à la légende du chaudron. Tout le monde connaît l’histoire de l’homme qui se défend de rapporter un chaudron troué : « Mais il n’est pas abîmé ton chaudron que je te rapporte, et d’ailleurs tu ne me l’as jamais prêté et en plus, il n’existe même pas ton chaudron ! » L’avocat reproche en effet à son client, qui continue à nier les faits, de ne pas les avouer et de ne pas s’abriter derrière l’obligation d’obéissance à ses supérieurs. Qu’en pense l’avocat général de voir ainsi bafouer le secret professionnel par un avocat qui recueille dans le secret de son entretien singulier avec le client des confidences qu’il clame ensuite urbi et orbi ? Et l’homme de robe de plaider que cette « Befehlsgehorsamkeit » est protégée en quelque sorte par les articles 152 et 260 du code pénal, où il est dit notamment que « lorsqu’un fonctionnaire ou officier public, un dépositaire ou agent de la force publique, aura ordonné ou fait quelque acte contraire à une loi ou à un arrêté (royal) grand-ducal, s’il justifie qu’il a agi par ordre de ses supérieurs, pour des objets du ressort de ceux-ci et sur lesquels il leur était dû une obéissance hiérarchique, il sera exempt de la peine, qui ne sera, dans ce cas appliquée qu’aux supérieurs qui auront donné l’ordre. » CQFD ?

À quand une révision du procès de Nuremberg afin de blanchir les « Hitler’s willing executionners ? » Ou, pour le dire avec une citation extraite du dernier numéro de Charlie-Hebdo : « Le fameux Point Godwin qui désigne le moment où intervient dans une conversation la référence au nazisme devrait être remplacé par un autre point dont le nom reste à inventer, celui ou la référence au nazisme intervient non pas dans les conversations, mais dans le vie réelle. »

S’il est vrai que le crime nazi fut unique dans son essence et sa monstruosité et que la peur sous le Troisième Reich expliquait bien des lâchetés, des méchancetés et des compromissions, le Luxembourg d’aujourd’hui est, quoiqu’on en pense, un État de droit. La preuve en est que ce procès, n’en déplaise au belliqueux avocat du diable, aura bel et bien lieu.

Yvan
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