L’avocat Gaston Vogel est décédé ce samedi à l’âge de 87 ans. Une bonne partie de la presse, dont il avait toujours été un « bon client », a consacré des panégyriques au personnage, affublé de titres comme « Spëtzenaffekot » (RTL) ou « Kenner der Philosophie und Literatur » (Tageblatt). Vogel avait l’appétit des grands procès, de la « Joerhonnert-Affär » au « Bommeleeërprozess ». Ses plaidoiries intimidaient ou amusaient, mais ne laissaient pas indifférents. Au fil du temps, le personnage public devenait de plus en plus caricatural, voire comique. Il avait développé un style sui generis, où se mélangeaient tournures françaises et expressions scatologiques.
La machine à indignation était alimentée par une recherche de reconnaissance et de publicité. RTL-Télé instrumentalisait « le maître » et ses tantrums pour booster son audimat en repoussant les limites du discours politique. Le seul qui pouvait le recadrer était Robert Krieps. Gaston Vogel vouait une véritable vénération au politicien socialiste, rescapé des camps. Il était entré en 1962 dans l’étude de son mentor. Il y restera jusqu’en 1992, deux ans après la mort de Krieps.
En juin 1957, Gaston Vogel avait réussi une première fois à créer le buzz. René Coty, le dernier président de la IVe République, effectuait une visite d’État au Luxembourg. Alors que le cortège avec la Grande-Duchesse passait par les rues de la capitale, le jeune Vogel lança un cri : « Vive la République ! ». Le lycéen était aussitôt arrêté par la Police. Le directeur du Kolléisch le menaçait même de l’exclure de l’examen du bac. Une légende était née, celle de l’enfant terrible, du bruit et de la fureur. Dans les années 1960, Gaston Vogel se profila comme un activiste dans les milieux de la gauche (réunis dans l’Assoss), en fondant le Comité Vietnam-Luxembourg. En 1978, il accepta le poste de président du Centre Pouchkine, financé par l’URSS. Sa vie durant, il déclamera sa haine des « yankees », et son opposition à l’atlantisme.
En 2005, il apparut du côté du « non » au référendum européen. RTL-Télé lui offrit une plateforme, le mettant face au ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn. L’émission dérapa au bout de trois minutes, Vogel passa en mode attaque et se mit à hurler, le modérateur capitula, tandis qu’Asselborn tenta de se défendre :« Deen Här hätt sollte bei Black & Decker schaffe goen! Buermaschinne verkafen ! » Les 54 minutes regorgent de moments d’anthologie. (La vidéo est devenue culte, et compte aujourd’hui 55 000 vues sur YouTube.)
En parallèle, Vogel publia une floppée de livres, cherchant une reconnaissance comme « littéraire ». L’avocat tonitruant compila ainsi une anthologie de « l’essence précieuse » de l’œuvre proustienne. Il publia également un essai sur le bouddhisme, dont il admirait l’école zen. Mais, de nouveau, il se laissa emporter par sa propre rhétorique. Comme lorsqu’il évoque le bouddhisme tibétain : Le Bouddha « aurait vomi cette horripilante bondieuserie et cet arrière-mondisme ».
Ces dernières années, Vogel apparaissait surtout dans la blogosphère. Il publiait chez Guy Kayser Online et accordait de longs entretiens à Marc Thoma (apartTV) ou à l’anti-vax Bas Schagen. Ce dernier vient de publier sa dernière interview avec Vogel, enregistrée il y a deux mois. L’avocat y décline une bonne partie des mots d’ordre de la nouvelle droite. Il s’en prend aux Verts (« des confiscateurs de plaisir »), affiche son climatoscepticisme (« vun der Natur aus gewollt »), et s’attaque au mouvement transgenre : « D’Natur mécht Feeler. Et komme Gelungener op d’Welt. Déi zielen awer net. »
Même s’il se revendiquait toujours comme « homme de gauche », les déclarations de Vogel sont devenus de plus en plus réactionnaires. Le point zéro fut atteint en août 2015, lorsqu’il s’en prit aux mendiants roumains, dont la vue l’importunait et qu’il dénigra comme « racaille », des « dégueulasses » qui dégageraient « des puanteurs ». Cette tribune publiée par RTL et Journal lui valut un procès pour incitation à la haine. Il fut acquitté, l’intention méchante n’ayant pu être démontrée. Dans une de ses dernières interviews, publiée fin août sur le blog L’Événement, Vogel prétend n’avoir « jamais mentionné un mot contre le mendiant ». Et d’ajouter : « J’aurais pu être un clochard aussi. Avec le caractère que j’ai, je n’aurais jamais pu exercer dans un bureau [en tant qu’employé]. On m’aurait liquidé tout le temps. »